Les économistes s’opposent violemment pour décrypter, modéliser et proposer des remèdes au tourbillon actuel. Tout et son contraire se côtoient dans l’énoncé des « solutions ». La guerre qui les divise a pour cadre le MIT, Harvard, Oxford, la Bocconi, l’École d’économie de Paris, celle de Toulouse ainsi que les think tanks, les institutions financières internationales et la scène médiatique. Prix Nobel, dirigeants du FMI, de la Banque mondiale, de la Fed et de la BCE, universitaires du monde entier et penseurs de tous bords en sont les acteurs. Les auteurs passent en revue leurs grands débats économiques : les inégalités, la dette, l’inflation la Chine, les cryptomonnaies en passant par le Vatican (!), la démocratie, les libertariens…en ciblant leurs thèses qui se confrontent, leurs erreurs d’analyse et leurs imprécisions.
Ils dressent aussi les portraits des principaux protagonistes de ces face-à-face – D. Cohen, T. Piketty, O. Blanchard, M. Aglietta, J. Stiglitz, L. Summers, J. Milei, P. Aghion, D. Acemoglu – et de leurs maîtres à penser, de Keynes à Schumpeter… et terminent par un chapitre sur « les tribus » : institutionnalistes, keynésiens, libertariens, libre-échangistes, malthusiens, marxistes, monétaristes et schumpétériens. Une enquête vivante et éclairante, au cœur des idées des hommes et des femmes qui font ou défont l’économie d’aujourd’hui écrite avec le style propre à des journalistes confirmés qui rend aisé la lecture de ce livre.
Excellent ouvrage dont le titre est un vrai reflet du livre et de la volonté des auteurs de montrer que l’économie n’est pas une « science exacte », qu’aucune science ne dit ce qu’il faut faire. L’érudition en matière d’histoire de l’économie est notable, les points de vue sont exposés clairement sans parti pris avec une organisation liée à des thèmes d’actualité dans une optique de long terme. Chaque fin de chapitre comprend un résumé des idées et, parfois, un début d’opinion de l’auteur.
On note que les oppositions sont parfois liées à des présupposés idéologiques ou philosophiques, mais ce n’est pas étonnant quand l’on se rappelle l’histoire de cette matière. On aurait pu s’attendre à d’avantage situer les débats dans le temps, montrant ainsi que les économistes savent souvent d’avantage expliquer le passé que préciser l’avenir, et que ce qui est vrai sous certaines conditions ne l’est plus quand celles-ci changent. Le propre d’une science « humaine » est que les vérités d’un moment ne sont pas toujours valides dans des domaines d’étude temporels et géographiques différents. Si l’homo economicus a pu avoir des comportements rationnels, ce n’est plus le cas maintenant pour des raisons multiples dont celles visant à exploiter les biais cognitifs de chaque individu, celles liées au faits filtrés, alternatifs, épistémiques, passés au tamis du ressenti, de l’émotion et de la peur. Le XXI è siècle n’est pas le 18ème siècle, dans ces matières aussi… !
Mais, ainsi que l’indique André Comte-Sponville dans son avant-propos, si « aucune connaissance ne tient lieu de volonté, aucune volonté ne peut se passer de connaissances ».
Ceux qui s’attendent à « savoir qui croire » passeront leur tour, ce qui rend le livre d’autant plus crédible.
Note de Dominique Chesneau