L’histoire et l’économie sont des disciplines incontournables et en ces temps troublés, on aimerait qu’elles associent leurs génies respectifs, l’histoire offrant le temps long, l’économie ayant recours à la panoplie la plus actuelle de méthodes quantitatives.
Ce livre tente de faire dialoguer histoire et économie et de conjuguer leurs méthodes pour encourager leurs collaborations alors que, chez les historiens, la critique radicale de la primauté des rapports économiques et des représentations explique en partie la désaffection pour l’histoire économique. Les historiens critiquent les modèles utilisés par les économistes considérés comme trop universalisants.
Ce n’est pas inexact, mais les limites des « observations et préjugés historico-philosophiques » de concurrence pure et parfaite, de symétrie d’information, d’anticipations rationnelles, ont conduit les économistes vers une recherche de pragmatisme en fondant leurs hypothèses sur des observations réelles et des nuages de données visant à conclure sur des périodes données, rompant, à bon droit, un certain continuum historique s’il en est. Ce que Paul Samuelson appelle « la révolution de la crédibilité du test empirique » !
Il ne s’agit pas d’étudier quelques sujets en parallèle pour en comparer les conclusions mais plutôt de présenter les avantages, inconvénients et limites des méthodes utilisées.
La discussion entre économistes et historiens est organisée autour de deux enjeux majeurs. Le premier concerne les choix méthodologiques qui structurent les démarches des deux disciplines. Le second enjeu relève des domaines et des thèmes qu’ils ont désormais en commun et sur lesquelles portent actuellement leurs études.
Aussi, la première partie est consacrée aux données, aux sources et à leurs lacunes et imperfections.
La deuxième partie aborde un thème que l’on croyait obsolet puisqu’il s’agit des relations causales bases du raisonnement scientifique mais pas nécessairement en sciences sociales. Un auteur traite même franchement d’une crise de la causalité distinguant « causalité nécessaire et causalité suffisante », question d’échelles, causalité propre aux sciences « dures » ( ?) et la nécessité de convergence dans l’approche causale.
Une partie est fournie à titre d’exemple puisqu’elle aborde le sujet du colonialisme : pour les historiens le poids de la colonisation reste lourd pour les pays concernés quand les deux derniers prix Nobel d’Economie ont démontré la responsabilité des gouvernances successives de ces pays dans leur développement économique insuffisant. Faut- il « croire » un récit ou un modèle ?
La dernière partie confronte sciences et savoirs (quelques pages mêlant philosophie et technologie) à l’occasion de l’actuel tournant environnemental et de l’utilisation de la théorie des réseaux dans l’appréciation de l’information et de ses modes d’accès.
On comprend, à la lecture de l’ouvrage, que le dialogue entre les disciplines ne peut pas être fondé sur l’idée qu’une seule définition de la causalité serait supérieure à l’autre et susceptible de l’emporter. Le type de causalité dépend souvent de la question posée et des biais intellectuels du chercheur.
Causalité logique et causalité temporelle sont souvent différentes. Toute recherche en économie, au-delà des « chiffres » doit intégrer le temps dans la définition de la causalité et le périmètre des bases de données qu’elle utilise.
« Le temps n’est pas une abstraction, et une action sans précédent historique n’existe qu’en laboratoire ».
On l’aura compris, particulièrement en cette période troublée au cours de laquelle de « multiples vérités et post-vérités » sont assénées, la lecture de ce livre est nécessaire et salutaire.
Dominique CHESNEAU