Rudiger L. VON ARNIM et Joseph E. STIGLITZ (dir.), L’inégalité est un choix. comment les idées, le pouvoir et les politiques creusent les écarts, Eds de la Maison des sciences de l’Homme, 2024, 470 pages.

Traduction de The great Polarization. How Ideas, Power and Policies Drive Inequality. Colombia University Press, 2022, 470 pages.

L’ouvrage collectif a réuni 22 enseignants – chercheurs principalement américains et français parmi les plus reconnus sur le thème des inégalités économiques et sociales dans le monde.

Dans la 1ere partie, les auteurs affichent leur adhésion à la thèse dePolyani (auteur du best-seller « La grande transformation »), selon laquelle « l’économie de marché est insuffisamment ancrée dans la société ». Ils remettent en cause certains principes de l’économie néo-libérale, en contestent notamment la théorie du « ruissellement » proposée par Friedman, selon laquelle l’efficience des marchés serait créatrice de valeur pour tous les acteurs de la société . Ils dénoncent le silence  des néo-libéraux, inspirés par les théories de Friedman et de Hayek, sur les externalités négatives, souvent cachées à plus ou moins long terme, qui sont engendrées par l’absence de régulation des marchés. Ils expriment les opinions actuellement partagées par les démocrates post- keynésiens en réaction aux mesures ultra-libérales prises sous la nouvelle présidence américaine. Ils reprennent les arguments initiés par Stiglitz, Milosevic et Piketty* en les étendant à toutes les formes d’inégalités à la fois économiques, sociales, politiques et culturelles.  Ils en dégagent les enjeux, les tendances et les synergies, en montrant que ces arguments ont été développés – avec des fortunes plus ou moins heureuses –  par les mouvements populistes de gauche dans les pays occidentaux. Un des intérêts de l’ouvrage est donc de révèler les forces mais aussi les faiblesses des raisonnements développés par les partis de gauche américains (et également français).

La 2e partie intitulée « le nouvel éclairage sur les faits »,  met en lumière le repli depuis 40 ans, du marché du travail au profit du marché du capital, et le recul des salaires au profit des dividendes et des plus-values boursières, en raison d’un double mouvement de globalisation des marchés de biens et de services (défavorable aux travailleurs domestiques en raison des délocalisations industrielles à l’étranger) et d’une financiarisation de l’économie mondiale (favorable aux grandes fortunes). La progression exponentielle des rétributions des dirigeants d’entreprises (due à une ingénierie de plus en plus sophistiquée conjuguant salaires, primes, stock- options, retraites chapeau…) a été stimulée par les envolées des cours boursiers (dues à un management de plus en plus « court termiste ») et des prix de l’immobilier (favorisées par une création monétaire débridée), qui ont profité aux familles les plus fortunées. 

Dans la 3e partie intitulée « des questions de politique. Marchés du travail, éducation, fiscalité et propriété intellectuelle », les chercheurs recensent les décisions politiques et les dispositions réglementaires qui ont directement affecté la distribution des revenus et de la richesse aux Etats Unis, et notamment celles qui ont conduit depuis 30 ans à une stagnation des salaires malgré une augmentation de la productivité dans l’industrie et les services. Les auteurs analysent notamment l’impact de l’action des syndicats d’enseignants sur les résultats scolaires et constatent que cette désyndicalisation  a pénalisé les enseignants et les élèves des quartiers défavorisés et leurs accès à l’emploi. Dans un autre registre, les auteurs affirment que les droits de propriété industrielle et intellectuelle, ainsi que certaines aides à l’emploi, créent des situations de quasi-monopole et de véritables rentes (notamment dans les secteurs de la finance, de la santé et du numérique), dont bénéficient les actionnaires dominants des grandes entreprises, qui constituent la moitié des milliardaires américains actuels. Lors de la crise de 2007-2010, les fonds publics alloués aux banques et aux assureurs ont ainsi principalement bénéficié aux 1% les plus riches.

Dans la 4e partie, consacrée aux « contextes politiques et aux perspectives d’avenir », les chercheurs analysent l’évolution des discours sur les inégalités de revenus.  Ils observent que ces perceptions varient d’un pays à l’autre en raison de leurs disparités socio-culturelles. Dans certains pays, comme la France, les discours sur la « fracture sociale »  ont pu encourager différentes formes de discrimination sans pour autant engendrer plus de justice sociale. Les dernières enquêtes révèlent que le renchérissement des études supérieures rend de plus en plus insupportables  les dettes des enfants issus des familles les plus modestes  et prive la nation de talents. Les auteurs préconisent la mise en place d’une garantie fédérale de l’emploi au sortir de l’université et de baby-trusts destinés à financer les études au moindre coût.

Rudiger L. von Arnim est professeur d’économie à l’université de l’Utah et et Joseph E. Stiglitz est professeur à l’université Colombia et PRIX Nobel d’économie.

*voir autres chroniques sur ce blog.

note de Jean-Jacques Pluchart

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