Au pouvoir depuis quelques semaines, Donald Trump entend bien mener une politique de dérégulations dans le secteur financier.
A l’heure où le secteur bancaire européen est déjà en perte de vitesse face aux banques américaines, l’écart risque de s’aggraver par la mise en œuvre en 2025 des normes Bâle IV au sein de l’UE.
Ces normes ont été publiées par le Comité de Bâle en décembre 2017 et ont été transposées au niveau européen via le règlement CRR3 (Capital Requirement Regulations 3) et la directive CRD6 (Capital Requirements Directive 6).
Le CRR3 renforce les exigences de fonds propres et des actifs pondérés en fonction des risques.
Via cette norme, le Comité de Bâle vise aussi une harmonisation internationale entre les banques. Les banques européennes, friandes des modèles internes moins consommateurs de fonds propres, les remplaceront par des modèles standards utilisés par leurs consœurs américaines.
Parmi les contraintes du nouveau règlement sur le risque de crédit, on peut s’attarder sur la la notion d’ « Output Floor ». Celui-ci vise à réduire la variabilité excessive des exigences de fonds propres des établissements calculées au moyen des modèles internes. Alors qu’il doit améliorer la comparabilité des ratios de fonds propres des établissements, restaurer la crédibilité des modèles internes et garantir des conditions de concurrence équitables entre établissements, ce « floor » limite cette transparence au bénéfice des banques américaines et au détriment des banques européennes. Concrètement, les actifs pondérés calculés par les banques sur la base de leurs modèles internes ne peuvent pas, au total, être inférieurs à 72,5% des actifs pondérés calculés en ayant recours aux approches standard. Ainsi, l’avantage qu’une banque peut tirer de sa diversification des risques (plus grande dans les banques européennes qu’américaines) reflétée dans l’utilisation de ses propres modèles est limité à 27,5% des actifs pondérés calculés à l’aide des approches standard appliques par les banques américaines. L’application de cette directive se fera de façon transitoire jusqu’en 2030 afin d’éviter des hausses soudaines des exigences en capital associées à certaines classes d’actifs.
Une autre nouveauté dans le CRR3 est la prise en compte du marché des crypto-actifs. L’Union Européenne avait déjà pris en main le sujet avec la mise en place d’un cadre juridique uniforme sous la forme du règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) adopté en mai 2023. Après plusieurs années de croissance rapide des marchés de crypto-actifs poussée par des investisseurs de plus en plus nombreux, la CRR3 a décidé d’intégrer les crypto-actifs dans le dispositif prudentiel bancaire.
Depuis l’élection de Donald Trump, le cours du bitcoin s’est envolé. Le 47ème président des Etats-Unis a indiqué dernièrement l’intention d’établir une réserve fédérale stratégique de Bitcoin. Il y voit comme un moyen de renforcer l’économie américaine face à la concurrence croissante de la Chine, point questionné par de nombreux économistes qui ajoutent un risque de voir le Président se donner des moyens d’intervention en dehors de l’accord et du contrôle du Congrès Il a aussi arrêté les projets de R&D d’un e-dollar comme monnaie digitale de Banque centrale, afin de privilégier l’émergence du bitcoin afin de concurrencer le dollar et d’améliorer « l’efficience des systèmes et moyens de paiement ». Aussi, la nouvelle administration américaine veut développer cette innovation et envisagera ensuite une réglementation. Ceci fait fi des mises en garde et précautions opérationnelles étudiées par la Banque des Règlements internationaux et ponctuellement du scandale FTX et de la faillite récente d’intermédiaires en cryptos ;
Les institutions financières s’exposent ainsi à de risques grandissant pouvant altérer la stabilité financière mondiale.
L’Union Européenne, comme toujours en bonne élève, poursuit donc la mise en œuvre du paquet bancaire. CRR3 a même déjà prévu une évaluation sur la situation générale du système bancaire dans l’UE d’ici au 31/12/2028.
Pendant ce temps, nos voisins tracent leur route sur des voies moins régulées …Au Royaume-Uni, l’application de la totalité de la réforme Bâle III a été reportée à 2026 voire au-delà selon les circonstances et l’impact sur les banques de l’UE. Aux Etats-Unis, les projets ont été mis en pause suite à la démission, début janvier, de Michael Barr, vice-président de la Réserve Fédérale américaine chargé de la supervision bancaire. Donald Trump a maintenant les mains libres pour s’en tenir au Dodd-Frank Act applicable actuellement – qui contient de nombreuses dispositions conceptuelles partagées avec Bâle 3.0 – et à opérer du « cherry picking » favorable aux banques américaines de certaines dispositions de Bâle 3.5 voire de Bâle 4.
Chronique rédigée par Sophie Friot