Dans la définition formulée par César-Pierre Richelet, auteur en 1680 du premier dictionnaire français, l’agriculture désigne « l’art de cultiver la terre ». Mais le mot agriculture est une sorte de paresse de langage et « souffre de l’utilisation de la troisième personne du singulier » comme le souligne l’auteur car l’agriculture est une émanation composite de complexités sociales.
Les techniques de séchage de la viande, la conservation des semences, l’essor du stockage ont contribué à la sédentarisation des chasseurs-cueilleurs. Cette sédentarisation a libéré les mains et les esprits, favorisant d’autres formes de production de biens, notamment avec la naissance de l’artisanat. L’agriculture est passée d’un rapport au monde animiste, s’inscrivant dans la continuité du vivant à un monde dans lequel la nature et l’humain se sont séparés. L’agriculture et la nature deviennent façonnées par l’homme. C’est la première grande transition, la mutation du néolithique.
La deuxième transition apparaitra avec le XVIIIe siècle et prendra un tournant décisif avec la découverte des grands gisements de pétrole au Texas.La révolution industrielle et le productivisme extractif mettent à disposition de l’agriculture de nouveaux moyens de production extrêmement puissants, l’agrochimie et la motorisation.
Cette nouvelle ère, l’anthropocène, avec l’intensification agricole, l’endettement, la défertilisation des terroirs, les pollutions atmosphériques, les pollutions par les pesticides a conduit à un effondrement de la biodiversité. Certes cet effondrement est multifactoriel et ses constituants très difficiles à isoler les uns des autres. Néanmoins on constate qu’un abaissement de la consommation de pesticides est possible sans nuire au rendement. Cette diminution de pesticides ne peut se faire qu’avec une intensification de la main d’œuvre agricole et l’association végétale plutôt que la monoculture.
Il faut raviver la symbiose, c’est la proposition que porte l’auteur : l’agroécologie.
Depuis la découverte récente de l’holobionte nous savons que l’utilisation massive d’intrants fragilise le microbiote de la terre. Cela passera non seulement par de nouvelles pratiques agricoles mais également par le changement de nos habitudes alimentaires, au premier rang desquelles, notre consommation de viandes. Il faudra également rétablir les cohérences et le maillage entre territoires, rééquilibrer les pouvoirs de décisions vers des échelles plus locales et enfin réinstaurer le partage des ressources en eaux.
L’indispensable restauration du vivre-ensemble agricole passera par sa politisation. L’écologie, initialement basée sur cette restauration, s’est égarée. Elle est devenue une enceinte à discours en surplomb des réalités, fortement médiatisée qui concourt à la radicalisation des positions. Il ne faut pas que l’agroécologie suive la même voie de la contestation et de la revendication. Elle doit être accompagnée par les pouvoirs publics. Elle doit convaincre de cette transformation humaniste et écologique, infléchir la course du monde mais sans faire trembler.
Jacques Tassinest agronome et écologue au Cirad (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) et membre correspondant de l’Académie d’agriculture de France.
Chronique rédigée par Ph Alezard