Chronique rédigée par J-J.Pluchart
Le lancement de l’application Chat GPT par Open AI et Microsoft en 2022, a donné lieu à un vaste mouvement de réactions sous diverses formes (rapports, ouvrages, articles, communications) sur les thèmes de l’IA générative et des LLM (Large Langage Models). Plusieurs rapports publics et privés (présentés dans cette chronique) publiés en 2024 se sont efforcés de dresser un premier bilan du déploiement de ces nouvelles technologies en Europe et en France.
Le rapport intitulé IA : notre ambition nationale (2024), de la Commission dirigée par Philippe Aghion (professeur au Collège de France) et par Anne Bouverot (présidente de l’ENS- PSL) a formulé des recommandations aux pouvoirs publics, en vue de développer l’exploitation de l’IAg par les entreprises françaises. Les 15 membres de la Commission ont souligné le caractère historique de la « révolution technologique » engendrée par l’IAg, qui risque « d’affecter tous les secteurs d’activité » et de « compromettre la compétitivité de la France » si cette technologie n’est pas rapidement exploitée. Ils assurent que l’IAg ne devrait pas provoquer de chômage de masse ni d’accélération significative de la croissance économique, mais devrait contribuer à relancer l’innovation technologique. Ils estiment que la France et l’Europe disposent « d’atouts suffisants pour être des acteurs de cette révolution », mais ils déplorent que leurs dirigeants ne soient pas suffisamment conscients des enjeux. Le rapport rappelle que les investissements américains en faveur des services numériques ont été 2,5 fois supérieurs à ceux des européens au cours des 10 dernières années. Les auteurs du rapport proposent six lignes d’action : lancer un plan de sensibilisation et de formation de la nation et engager un investissement public annuel de 5 milliards € pendant 5 ans ; réorienter l’épargne vers l’innovation et créer un fonds « France & IA » de 10 milliards € dédié à l’écosystème d’IAg ; faire de la France un pôle majeur de calcul, avec des garanties publiques ; créer un crédit d’impôt pour l’entraînement des modèles ; faciliter l’accès aux données en modernisant le statut de la CNIL ; assurer le principe d’une « exception d’IA » dont bénéficieraient les chercheurs publics ; promouvoir une « gouvernance mondiale de l’IA », afin d’encadrer les systèmes d’IA ; lever une contribution « solidarité « 1% IA » destinée aux PVD et instaurer un « fonds international pour l’IA » au service de l’intérêt général, doté d’un budget de 500 millions€ ; enfin, créer une organisation mondiale chargée de mutualiser certaines recherches et de normaliser les pratiques de l’IA. Ces actions seraient placées au service d’un véritable « projet de société » respectueux des principes démocratiques et soucieux de la qualité des services publics.
Ce constat est confirmé par le dernier audit de la Cour des comptes européenne (publié en 2024), qui estime que l’adoption des technologies d’IA sera décisive pour le futur développement économique de l’UE. Il constate que le plan européen lancé en 2018 et mis à jour en 2021 , « n’avaient pas donné un coup d’accélérateur suffisant pour rejoindre le peloton de tête dans la course mondiale » . Les mesures des États membres et celles de la Commission n’ont pas été coordonnées efficacement, cette dernière ne disposant pas des outils de gouvernance et des informations nécessaires. La Cour recommande à la Commission de réévaluer l’objectif d’investissement de l’Union en faveur de l’IA, d’évaluer le besoin d’un instrument de soutien en capital davantage axé sur l’IA, de renforcer la coordination et le suivi, et d’intensifier le soutien à l’exploitation des résultats dans l’UE.
Plusieurs rapports émanant d’organismes privés viennent compléter ce constat.
Le rapport 2024 de Qonto [1] montre qu’entre le 1er trimestre 2023 et le 1er trimestre 2024, le taux d’utilisation des applications d’IAg est passé de 1 à seulement 8% . Il révèle également que le développeur américain Open AI domine à plus de 80% le marché des solutions d’IA g face à Mistral et Scaleway.
Le rapport Global Ai Adoption Index (2024) du groupe indien Infosys Technologies[2] souligne l’importance du passage du projet- pilote à la solution d’IA à grande échelle. Ce déploiement permet d’automatiser à moindre frais les « tâches à faibles risques », notamment dans les services aux clients, le recrutement, l’approvisionnement, la gestion du risque crédit, la programmation de logiciels, la veille concurrentielle, le benchmarking… Le rapport constate que les gains de productivité sont très variables d’une opération et d’une entreprise à l’autre, mais aussi d’un pays à l’autre. Il observe ainsi le retard de l’Europe dans ces différents domaines
Une enquête du cabinet américain BCG X (2024) auprès des entreprises européennes révèle que 42% de leurs acteurs déclarent utiliser une ou plusieurs applications de l’IA dans leurs tâches quotidiennes, reconnaissant que ces pratiques permettaient des gains de temps (estimées à 5 heures par semaine), qui étaient favorables à d’autres travaux et notamment, à de la formation. La moitié des répondants déclarent craindre pour leur emploi, cette crainte étant plus sensible parmi les utilisateurs d’IA que parmi les non- utilisateurs. Les deux tiers des répondants (50% des dirigeants interrogés) seraient en attente d’une formation à l’IAg , mais les cadres et les employés des PME estiment manquer de temps et/ou attendre le moment propice ; la moitié d’entre eux se déclarent insatisfaits des formations proposées.
L’étude Goldman Sachs Global Index Research (2024) estime que la proportion d’emplois dans la banque et l’assurance menacés par l’automatisation par l’IA serait de 31% dans la zone euro, tandis que la Dares prévoit que les postes exposés à l’IA ne seraient que de 22%.
Les rapports s’accordent sur plusieurs constats : la majorité des français reconnaissent que l’IA est entrée dans une nouvelle ère et qu’elle constitue un levier de création de valeur à condition que « les applications passent à l’échelle », c’est-à-dire du stade expérimental au niveau opérationnel. Leurs auteurs observent un manque de sens du risque, une faiblesse des investissements publics et privés, un excès de bureaucratie et surtout, une insuffisance de formation à l’IA, qui risquent de peser à plus ou moins long terme sur la capacité concurrentielle de la France.
[1] Qonto est un des leaders européens des fintechs finançant les PME (coté dans le next 40)
[2] tiquInfosys Technologies Limited est un des leaders mondiaux des services en informatique .