Fiche écrite par Florence Anglès
Le livre relate et analyse méticuleusement l’histoire des multinationales depuis le 19ème siècle. Ce n’est ni une diatribe ni un essai théorique déconnecté de la réalité. C’est une lecture très structurée et bien documentée, visant à interpréter un phénomène majeur du capitalisme actuel : l’autonomisation des agents économiques privés, qui se sont peu à peu développés en tant qu’agents politiques de facto avec un pouvoir important, mais peu de légitimité démocratique.
La fondation des premières entreprises multinationales a été précédée par deux autres aspects majeurs de l’économie mondiale : d’abord, le colonialisme formel (l’ouverture de vastes parties du monde à l’occupation et à la colonisation non indigènes), et ensuite, les nombreuses révolutions industrielles. Elles se sont soutenues dans des logiques d’extraction, d’approvisionnement et de dépendance. Elles sont devenues une pierre angulaire du fordisme et de la reconstruction d’après-guerre au 20ème siècle. Cependant, dès les années 1980, elles ont commencé à s’affranchir des structures réglementaires nationales.
Le cadre déréglementé et fragmenté leur a non seulement permis de s’étendre mondialement, mais aussi de jouer selon leurs propres règles. Le pouvoir qu’elles exercent se décline sous de nombreuses formes :
- la concurrence entre les législations (sur la fiscalité); avec une évasion organisée;
- sur les normes, soit en influençant directement les lois, soit en générant leurs propres normes ;
- autour de l’environnement, en retardant l’application des régulations et en promouvant un discours responsabiliste de contrôle.
« Les multinationales ne se contentent pas de s’adapter à l’ordre mondial — elles le refaçonnent. »
L’une des réalisations les plus importantes du livre est de relier cette trajectoire économique à une lecture politique des relations de pouvoir. Les multinationales ne sont pas simplement sorties de nulle part : elles sont le résultat d’une histoire, d’une stratégie, et d’une succession de systèmes opaques. La révélation du livre est une cohérence sous-jacente que nous voyons souvent seulement par fragments, une renonciation silencieuse au pouvoir collectif au profit d’acteurs non élus, exerçant leur pouvoir sans mandat clair, mais de manière effective. C’est une lecture difficile mais essentielle si vous voulez comprendre les véritables fondements de l’économie actuelle.
Olivier Petitjean est journaliste et membre de l’Observatoire des multinationales, qu’il a cofondé. Il travaille depuis plusieurs années sur les questions de justice économique, de responsabilité des entreprises et d’impacts environnementaux. Il est également l’auteur de plusieurs enquêtes sur le rôle des grandes firmes dans les politiques publiques.
Ivan du Roy est journaliste, éditeur et fondateur de Basta!, un média indépendant engagé sur les enjeux sociaux, économiques et écologiques. Il est spécialisé dans l’analyse critique des politiques économiques, du pouvoir des grandes entreprises et des mécanismes d’influence au sein des institutions démocratiques.