Jean-Jacques Pluchart
Le Conseil National de la Productivité (CNP) a publié en avril 2025 son 5e rapport intitulé « Un monde en mutation – Productivité, compétitivité et transition numérique« , qui présente les opportunités offertes à l’économie française par un meilleur apport du numérique. Le rapport est structuré en 3 parties : l’évolution de la productivité, la compétitivité relative du pays et l’impact des nouvelles technologies sur la croissance.
Institué en 2018, le CNP, présidé par Natacha Valla et dépendant de France Stratégie, a pour mission de conseiller le gouvernement sur les politiques économiques liées à la productivité, d’en évaluer les effets et d’alimenter le débat public Il montre que les transformations en cours de l’économie française sont partagées entre des objectifs à court terme et des impératifs structurels de long terme.
Les experts constatent qu’en France, le niveau actuel de la productivité du travail par tête est inférieur de 5,9% à son niveau pré -Covid . Les deux tiers de ce décrochage de productivité sur 5 ans peuvent s’expliquer par des facteurs transitoires : apprentissage, rétention de l’emploi dans des secteurs confrontés à une baisse de leur activité, effets de composition de la main-d’œuvre (proportion plus forte d’emplois moins qualifiés…). Le tiers restant serait dû à un affaiblissement structurel de la productivité en Europe. Ce manque de dynamisme ne peut être enrayé que par de nouveaux investissements – notamment numériques – et par une transformation de l’appareil productif. La croissance de l’emploi ne peut à elle seule assurer la soutenabilité de la croissance économique.
Le rapport rappelle le rôle encore ambigu des technologies numériques – notamment la GenAI et la robotique – dans l’évolution de la productivité. Leur impact global est perçu comme insuffisant en France, mais des indices révèlent qu’un rattrapage est possible, à condition que l’IA soit plus largement implantée dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et que les travailleurs se reconvertissent rapidement.
Le rapport révèle qu’environ 14 millions de français, soit 28 % de la population, sont éloignés du numérique, ce qui constitue un véritable handicap dans un contexte de numérisation croissante de la population mondiale . Les experts considèrent qu’un plan de numérisation des Français sur 10 ans , touchant 4,7 millions de Français, pourrait générer 1,6 milliard d’euros de gains annuels, dans les domaines de l’économie numérique, de l’emploi et de la formation, des relations avec les services publics, de l’inclusion sociale et du bien-être. Le premier domaine est celui de l’économie numérique, qui inclut les achats en ligne et l’économie collaborative. Le développement des capacités d’achat en ligne d’un tiers de la population-cible, via des plates-formes d’économie collaborative, pourrait générer des gains de pouvoir d’achat de l’ordre de 450 millions d’euros par an. Le deuxième domaine concerne l’emploi et la formation. L’usage d’internet a globalement un impact positif sur la réussite scolaire et sur le niveau de qualification de la population française. Le gain annuel ainsi engendré serait alors de l’ordre de 130 millions d’euros . Le troisième domaine est celui de la relation avec les services publics , et notamment, celui des démarches administratives en ligne. Le gain d’un plan d’inclusion numérique serait de 150 millions par an
Les derniers indicateurs traduisent heureusement une certaine amélioration de la compétitivité européenne, notamment dans l’industrie manufacturière. En 2023 et 2024, la réduction du déficit commercial de la France s’est accompagnée d’un redressement de ses parts de marché à l’exportation. La compétitivité a également bénéficié d’une baisse relative des coûts réels salariaux. Mais les coûts salariaux français restent globalement supérieurs à la moyenne de la zone euro, notamment à ceux des pays comme l’Espagne ou l’Italie. Les hausses récentes des coûts dans les services aux entreprises et les coûts de transport de marchandises pourraient rapidement remettre en question les gains observés. La compétitivité hors prix demeure un enjeu, les produits intermédiaires, d’investissement et de consommation français étant souvent perçus comme trop chers par rapport à leur qualité. De nouvelles hausses de coûts salariaux et de transport peuvent à nouveau peser sur la compétitivité- prix. Dès lors deux choix stratégiques s’offrent à la France : miser sur l’innovation pour améliorer la productivité et renforcer la compétitivité hors prix ; maîtriser les coûts salariaux pour préserver sa compétitivité sur les marchés internationaux.
La France accuse un retard marqué par rapport aux États-Unis en matière d’investissement technologique et ce déficit pourrait peser durablement sur la croissance potentielle. Le rapport Draghi (2024), qui préconise un cadre européen renforcé pour stimuler la compétitivité par l’innovation (1), souligne cette urgence. Selon le CNP, seule une stratégie d’investissement dans le numérique, engagée à la fois par les politiques industrielles nationales et les directives européennes, pourrait être l’un des leviers de la productivité, de l’emploi et de la souveraineté économique de demain.
- Les premiers effets du « rapport Draghi » seront présentés sur le prochain blog.