L’auteur soulève plusieurs questions fondamentales : quels étaient les moteurs des trajectoires nord-américaine, européenne et chinoise et que deviennent-ils sous l’effet des politiques de lutte contre la pandémie ? Il constate que la pandémie a exercé un rôle d’accélérateur et de transformateur du capitalisme (qualifié « de plateforme ») et de la société (dite « de surveillance »). Ce phénomène a été initié par le développement de l’économie numérique et par la montée des GAFAM à partir des années 1990. Ces derniers ont bénéficié de conditions exceptionnellement favorables : une capacité inégalée d’innovation, la maîtrise d’un écosystème complet, la diversification des contrats de services, la mondialisation des réseaux, la revalorisation du capital intangible, l’inexistence de contrôle et de taxation de leurs transactions…
Mais la pandémie creuse les inégalités et transforme les modes de vie, les représentations de la société et de la politique. Elle introduit une « incertitude radicale » dans les activités productives et marchandes, que seul l’État peut encadrer par une restauration de la planification indicative, par la garantie de la masse salariale, par la compensation au moins partielle des charges des entreprises et par la couverture des risques systémiques. Le traitement de la crise sanitaire impose donc un nouveau compromis entre les actions respectives des États et des marchés. L’État-nation est devenu le « protecteur des entreprises », le « bouclier de la demande », le « rempart contre le néolibéralisme ». Il est désormais « le tuteur et le complément nécessaire des marchés ». Le Covid vient démentir la thèse de l’école de Chicago qui surestime la capacité du marché à surmonter les crises majeures sans l’intervention de l’État.
Robert Boyer perçoit une contradiction entre le capitalisme global de plateforme et le capitalisme d’État, car le premier est ouvert sur l’international et le second centré sur la nation. Il préconise la mise en œuvre d’une nouvelle forme défensive du capitalisme d’État tout en doutant de la possibilité d’un renouveau des politiques industrielles et d’un retour complet du capitalisme transnational.