L’IA générative et la société de simulation

L’IA générative (IA g ou GenAI) fait l’objet d’un nombre croissant d’ouvrages depuis l’apparition en 2022 de l’application ChatGPT  et de ses nombreux concurrents (Pluchart, 2024). L’IA g a constitué une avancée significative dans le développement du deep learning et de la génération de langage naturel (LLM). La rapidité de sa diffusion a surpris autant les geeks que leurs usagers, mais elle a également suscité des interrogations sur son mode de fonctionnement et des  inquiétudes  sur ses impacts potentiels sur le travail qualifié.

Le fonctionnement de l’IA g reste une boîte noire pour la plupart de ses utilisateurs. Il conjugue plusieurs techniques d’IA : apprentissage par renforcement, approche par des réseaux neuronaux de plus en plus profonds, tokenisation des caractères de textes de plus en plus massifs pour chaque requête (jusqu’à 100 teraoctets ) … Si les applications sont devenues dans l’ensemble plus ergonomiques, plus fiables et moins biaisées, le processus reste aléatoire :  si la même question est posée par différentes requêtes et/ou sources, ChatGPT fournit des réponses différentes. L’IA g est critiquée car elle est fondée sur une « capitalisation linguistique » (Kaplan, 2023), sur « une grammatisation des comportements, sur des calculs prédictifs, sur une vaste collecte de données rétrospectives et sur la performativité d’algorithmes »…« les expériences du passé sont transformées par l’IA g en ressources marchandisables » (Giraud et Alombert, 2024).

Cette nouvelle génération d’algorithmes est en mesure de bouleverser les pratiques de nombreux métiers reposant sur la création et/ou la transmission de connaissances et d’informations, notamment dans la recherche (avec les nouveaux navigateurs et algorithmes de calcul), l’enseignement (avec de nouvelles applications pédagogiques), le commerce en ligne et le conseil (avec les agents conversationnels), le contrôle comptable et fiscal (avec les applications de détection de fraude), le journalisme (avec les logiciels de rédaction et de traduction)… Certains praticiens s’interrogent sur la pérennité de leur métier et l’avenir de leurs emplois (Bonnet, Pluchart, 2021). Ils craignent que leur fonction d’agent « augmenté » par l’IA ou « phygitalisé » (partagé avec l’IA) ne soit assurée à l’avenir par des agents conversationnels (chatbots) ou des robots- conseillers (Mailloux, 2023).

L’IA g suscite également la crainte que ses produits ne se substituent furtivement aux créations humaines restituées dans des livres, manuels, rapports, articles discours, exercices… Plusieurs expériences menées par Jérome Valluy (2024)montrent clairement que les applications courantes de détection des plagiats (comme Compilatio)  ou des textes ex nihilo générés par ChatGPT 4  (ou ses équivalents comme LLama , Claude 1&2, Mistral 7b, Esnie Bot 4…) sont désormais inopérants. Cette détection ne reposerait donc plus que sur des indices observés par l’expérience et la sagacité humaines : l’uniformité excessive du texte, un raisonnement trop orienté, l’illogisme ou la maladresse de certaines formules, les métadonnées improbables du document…  Ce constat  vient confirmer l’avènement d’une société post-moderne reposant sur la simulation ou le  simulacre, telle qu’entrevue par Baudrillard (1981).  Le philosophe y percevait il y a déjà 43 ans,  un antidote à la « société panoptique » (Foucault, 1975 ) ou à la « société de surveillance » (Zuboff, 2020), le virtuel se substituant au réel, l’hologramme à l’original, le signifiant au signifié… L’innovation de rupture qu’est l’IA g ne marquerait elle pas l’avènement d’un nouveau modèle de société à la fois réel et virtuel ?

Chronique rédigée par J-J. Pluchart

Pour aller plus loin :

Baudrillard  J., Simulacres et simulation, Eds Galilée, 1981.

Bonnet D., Pluchart J-J. (2021), IA et intelligence humaine, Eds Eska – collection Turgot

Foucault M., Surveiller et punir, Gallimard, 1975.

Giraud G., Alombert A, Le capital que je ne suis pas. Mettre l’économie et le numérique au service de l’avenir,  Fayard, 2024.

Kaplan F, Les vingt premières années du capitalisme linguistique : Enjeux globaux de la médiation algorithmique des langues, EPFL, 2023.

Mailloux  M., Robots financiers et IA, Eds Franel, 2023, Prix spécial Turgot 2024.

Pluchart J-J., 60 ans d’agents conversationnels d’Eliza à chat GPT, blog Clubturgot.com, 2024.

Valluy J., Humanité et numérique(s) – De l’histoire de l’informatique en expansion sociétale… au capitalisme de surveillance et d’influence (1890-2023), TERRA-HN-éditions, Collection HNP, 2023,: http://www.reseau-terra.eu/article1347.

Zuboff S., L’âge du capitalisme de surveillance, Eds Zulma, 2020.

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