Le cahier soulève une question largement débattue dans l’opinion publique, notamment après la crise de 2007-2009 sur l’utilité des économistes. Ces derniers seraient ils victimes de leur Zeitgeist, de leur spécialisation excessive, de leurs approches trop théorique et mathématique des phénomènes, de leur difficulté à intégrer la macro et la micro économie, de l’inefficience de leurs modèles d’anticipation des risques, de leur incompréhension de certaines innovations financières, de leur proximité avec les milieux financiers…? Pour pouvoir anticiper la crise de 2007-2009, il aurait fallu être à la fois un expert des marchés immobilier, monétaire et financier, des économies bancaire et non bancaire, publique et privée, nationale et internationale….
Le Cahier s’efforce de répondre à ces interrogations. André Cartapanis rappelle que plusieurs économistes avaient mis en garde dès 2005contre la dégradation des fondamentaux macroéconomiques, et avaient souligné qu’à défaut de prévoir la crise économique actuelle, ils avaient su éclairer les gouvernements sur la gravité et les conséquences désastreuses qu’elle pourrait avoir. Pour Jean-Paul Betbèze, la profession des économistes se divise entre ceux qui s’intéressent à l’équilibre des marchés et ceux qui privilégient l’instabilité foncière. Pour les premiers, le bon fonctionnement des marchés suffit à empêcher les crises, tandis que celles-ci sont inéluctables pour les seconds.Patrick Artus constate, à partir de quatre études de cas, que de plus en plus d’ économies affichent des équilibres multiples avec anticipations auto-réalisatrices, ce qui rend très difficilele métier d’économiste et de prévisionniste. Jean-Hervé Lorenzi regrette que les économistes soient les grands absents des choix de politique économique en France, même si leur place dans l’expertise a gagné en importance depuis la création du Cercle des économistes et du Conseil d’Analyse économique auprès du Premier ministre. Pour Jean-Marie Chevalier, le rôle des économistes de l’énergie consiste à gérer les interdépendances et les incertitudes. Ils sont capables de construire des scénarios, qui ne sont pas des prévisions, mais des images contrastées de futurs possibles. Bertrand Jacquillat s’interroge sur la prévisibilité des cours boursiers ; Il montre que la théorie de l’efficience des marchés financiers n’est pas toujours vérifiée,en rappelant la fameuse phrase de Paul Samuelson sur le paradoxe de l’économie triomphante et de l’inutilité des prévisionnistes : « L’impossibilité de prévoir les prix futurs à partir des prix présents et passés est le signe, non pas de l’échec des lois économiques, mais de leur triomphe, après que la concurrence a fait sa besogne ».
La crise de 2007-2009 aura au moins obligé les économistes à plus d’humilité, mais aussi à plus de transversalité. Il faut à l’économiste une démarche résolument «poly-technicienne», qui intègre différentes approchesformalisées ou non… Même si cette approche est par hypothèse évolutive, ellevise la même ambition : interpréter la vie économique, sociale et financière, afin d’éclairer et d’infléchir les choix publics pour un meilleur bien-être individuel et collectif.
Chronique rédigée par J–J. Pluchart