Les auteurs ont conservé leur parti éditorial de présenter des faits, études et commentaires sans « complaisance » ! « »Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté » ; ici le pessimisme est d’intelligence et malheureusement convaincant, l’optimisme est de nécessité, sinon la pérennité de nos modèles économiques et sociaux ne sont pas assurés !
Confrontés à la menace de déclassement, la France et l’Europe auront-elles la capacité de rester dans la course face aux économies américaine, chinoise ou indienne ? Sans divulgacher la conclusion, l’ouvrage donne quelques clés pour ne pas être trop distancé selon le thème kantien : que nous est-il permis d’espérer ?.
Il s’agit, pour nous Français de relever six défis majeurs : le vieillissement démographique, la fragmentation du monde ; la transition énergétique (et non pas écologique…), la bataille de l’épargne, sans oublier les bouleversements associés au passage d’une économie d’abondance à une économie de rareté.
Concernant le vieillissement, il croit et est associé à un recul des gains de productivité, une augmentation structurelle de l’inflation, et un déséquilibre durable des finances publiques. L’enjeu est donc d’empêcher que le vieillissement pèse trop sur la croissance à long terme et donc sur le niveau de vie des habitants.
La fragmentation du monde conduit à une économie plus chère et moins efficace, elle touchera en priorité les pays émergents ; la France et les autres pays développés devraient s’adapter à cette nouvelle donne en sachant entretenir une interdépendance suffisante.
Pour maintenir sa base industrielle en 2050, l’Europe et surtout la France devront achever leur mue culturelle et mobiliser des moyens financiers, nationaux et mutualisés et surtout l’épargne privée soit volontairement soit de façon « forcée » (emprunts obligatoires ou/et impôts).
Pour mobiliser l’épargne longue, il s’agira d’éviter le déficit public visant à stimuler la consommation, d’éviter le raccourcissement de la maturité moyenne des actifs financiers, d’éviter la réduction du degré de risques sur ces actifs, d’éviter d’inciter à utiliser l’épargne pour consommer, de favoriser par la politique économique toute mesure favorable à l’augmentation des revenus et donc de l’épargne disponible. Ces recommandations devant conduire à un partage de la valeur différent de celui connu depuis les années 80.
Identiquement, pour que la transition énergétique puisse se faire dans d’aussi bonnes conditions que possible, »il faudrait sortir du modèle néo-libéral, et que les entreprises et leurs actionnaires acceptent une relative diminution de la rémunération de leurs fonds propres ». « Tous les agents économiques vont devoir ajuster leurs priorités et leurs comportements » car « la transition s’annonce difficile pour tous ». Un effort de pédagogie doit être fait par les décideurs pour convaincre que l’inaction aura un coût économique et surtout social qui justifie des efforts dès maintenant et un investissement massif pour fonder un nouveau modèle de croissance solide et plus équitable ; rejetant ainsi tout modèle de croissance conduisant à une attrition mortelle des agents économiques les plus fragiles.
Les deux derniers chapitres du livre sont consacrés à l’avenir de la France et de la zone euro : comment sortir du piège de la croissance faible et comment imaginer une politique économique, monétaire (la BCE), et budgétaire susceptible de changer la donne ?
Concernant la croissance, il faut augmenter le temps travaillé par toute la population (122 heures annuelles de moins que la moyenne européenne), en augmentant certes la durée hebdomadaire du travail (mais il n’y a qu’une heure de décalage avec l’Allemagne), la réduction des arrêts de travail (deux fois plus importants en France qu’en Allemagne). Puis augmenter le taux d’emploi par de la formation et des mesures incitatives ; s’agissant de personnes peu formées, le gain de productivité de l’économie interviendra avec retard. Enfin l’innovation technologique qui nécessitera des investissements importants qui pourront être financés par l’épargne de la zone pour autant que celle-ci ne parte pas aux Etats-Unis et puisse circuler de façon fluide entre les pays de la zone.
Dernier sujet : la politique économique de la Commission et la politique monétaire de la BCE. Les solutions avancées sont « disruptives » pour reprendre un terme des auteurs. Mieux vaut « une politique disruptive plutôt que morte » !
Les critères « classiques » sont obsolètes car ils ne différencient toujours pas les dépenses de fonctionnement et celles consacrées aux investissements et ils intègrent insuffisamment les notions de cycle, contrairement aux décisions prises lors de la crise de la COVID. Les auteurs considèrent même que ces resserrements conduiraient à un décrochage définitif de l’Europe. Il faut donc, laisser une souplesse dirigée par des stratégies industrielles claires et renouveler les emprunts communautaires.
Concernant la politique monétaire, « elle est inefficace ». Les auteurs, au moment de l’écriture de leur ouvrage considérait que la baisse de l’inflation résultait d’une baisse du prix de l’énergie et de celui des matières premières mais que l’inflation restait de l’ordre de 3,5%, niveau que l’on retrouverait en 2025. En cet été, force est de constater que cette prévision n’est pas avérée. Mais à voir….
Quoiqu’il en soit, les auteurs remettent en cause le « dogme » des 2% ; considérant que la cible devrait se rapproche du « taux naturel » et varier selon les cycles économiques (Friedman contre Hayek !). Assurément, pour sortir du marasme actuel et à venir, il convient de recréer une courbe d’intérêts réels négatifs, permettant, entre autres choses, de maintenir voire d’augmenter les déficits sans que la dette ne croisse ; de « réécrire quelques articles du Traité de Maastricht ; de mener une « politique monétaire expansionniste » et enfin de favoriser la mise en place de complètes « Union bancaire » et « Union de l’Epargne et de l’Investissement ».
Il est intéressant que les propositions économiques sur la création de richesses, la mobilisation de l’épargne et le financement de l’investissement en France, se retrouvent dans le « plan Bayrou » de l’été 2025 (auquel il manque un élément sur les retraites pour les raisons politiques connues) et que les orientations monétaires sont portées par le gouvernement à Bruxelles et Francfort. Mais, on le voit, les priorités nécessaires en France ne sont pas nécessairement acceptables en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie.
Ce livre fort documenté comme ceux qui l’ont précédé, est utile au débat ; il est même « dans l’air du temps » ce qui n’est pas fréquent dans une matière compliquée. Reste au personnel politique de distinguer le chemin des possibles. « Vaste tâche » aurait dit « quelqu’un » !
Dominique Chesneau