L’ouvrage présente une double originalité par son objet – les « hyper trucages » ou deepfakes rendus possibles par l’IA – et par son style à la fois précis et spontané. Il présente l’évolution des contrefaçons, des faux, des simulations, des manipulations… à travers les âges. Il montre que l’IA – surtout dans sa version générative apparue en 2022 avec la solution ChatGPT – a accéléré le mouvement de désinformation, dont certains objectifs, contraires à l’éthique de l’IA, visent à masquer la vérité (« post-vérité »), à travestir la réalité (« hyper-réalité »), à simuler un objet ou influencer un sujet (nudging). Cette propension de l’IA à « falsifier le réel » a été démultipliée par des traitements de données de plus en plus massives issues principalement d’échanges sur les réseaux sociaux. Elle est également due à l’interopérabilité des vecteurs de communication (voix, images, videos, textes), mais aussi au développement d’une softwar entre les blocs géopolitiques, les Etats-nations, les courants politiques, les groupes sociaux…
L’auteur multiplie les exemples plus ou moins connus de fausses informations (fake news) , de faux simples (cheap fakes) ou complexes (deep fakes), aux conséquences tragi-comiques ou dramatiques, mais il se livre surtout à une réflexion philosophique (ou plutôt philologique) sur les représentations de la réalité dues à Platon (le « mythe de la caverne »), à Kant (les « phénomènes ») à Baudrillard (les « simulations et les simulacres ») , à Debord (la « société de spectacle »), de Benjamin (la « perte d’authenticité ») de Rivault d’Allone ( la « faiblesse du vrai ») de Guerouanou (sa thèse de doctorat sur le « vertige de l’anthropotechnie »). Olivier Laskar analyse les recherches en cours sur les techniques de falsification et de simulation, mais aussi de détection des faux et des plagias (debunking) et de traçage des faux (water making). Il présente notamment le projet français Moshi, qui préfigure les robots conversationnels de demain, dont l’image et la voix simulent « presque à la perfection » les échanges et les émotions de sujets en situation. Cette nouvelle « technologie du faux » est développée par l’offre de logiciels open source aisément accessible, émanant de start’ups et de laboratoires de recherche académique. Ces développements alimentent les pratiques de nudging (influence), de green washing (verdissement des projets), de social bashing (dénigrement)…, mais ils soulèvent également de nouveaux questionnements plus philosophiques sur les notions de vérité et de réalité, de normal et de paranormal.
Olivier Laskar (ingénieur) est rédacteur en chef du pôle numérique de la revue Sciences et Avenir.
note de J-J.Pluchart