Olivier BABEAU, L’ère de la flemme, Editions Buchet-Chastel, 288 pages, février 2025

L’auteur – PRIX TURGOT  2020- dans son dernier ouvrage nous transporte dans une dimension nouvelle en nous expliquant le changement de paradigme qu’est la perte du sens de l’effort. C’est une rupture civilisationnelle qui se produit.

L’effort qui était exalté -et qui est au cœur de toute vie réussie- n’intéresse plus, il n’est plus donné en exemple et on lui préfère les vertus égalitaristes de l’humilité et de la passivité. On ne salue plus le héros, mais la victime. L’élitisme était une qualification louangeuse, on se méfie de l’excellence, le médiocre rassure, nous sommes entrés dans les trente paresseuses qui mèneront logiquement à une forme de faillite économique et politique et à une colonisation culturelle, économique et aussi à la fin de notre modèle politique basé sur la démocratie car l’ère de la flemme concerne principalement les vieux pays d’occident.

L’intelligence artificielle ne rend pas l’effort inutile mais elle change celui qui est indispensable pour vivre heureux. On ne peut pas exclure que le travail disparaitra et si la civilisation de l’oisiveté est confondue avec celle de la paresse – qui a des conséquences sensibles sur nos vies matérielles – elle conduira à la disparition de l’individu. L’effort meurt aussi de la transformation profonde de notre rapport à la société car il n’est plus nécessaire pour obtenir la plupart des choses qui hier coûtaient tant à acquérir.

On a parfois l’impression que le but essentiel de tout citoyen est de parvenir à capter les prébendes de la redistribution durant la vie active et la retraite. La préférence pour la paresse s’est diffusée dans toutes les dimensions de la société. L’extraordinaire latitude de choix conférée par la prospérité finit par lasser, car affranchi du fardeau de la faim on supporte moins les autres règles qui nous contraignent.

Le développement de la civilisation moderne a changé les rites d’intégration et les règles du jeu social. Pendant des millénaires, appartenir à un groupe, c’est être conforme sinon on n’est pas reconnu comme membre. On ne négocie pas avec la rigueur des prescriptions sociales, car l’existence était précaire et relativement courte, la souffrance et la mort étant omniprésentes. On ne saurait être oisif, l’oisiveté du citoyen grec n’est pas considérée comme de la paresse car elle permet un travail sur soi bénéfique pour la collectivité. On ne choisissait pas son conjoint ni sa religion. La déchéance n’est pas moins redoutable que la mort, puisqu’une existence rejetée hors du groupe n’en est pas vraiment une.

Il faut réaliser une différence essentielle entre la société préindustrielle et la nôtre. Aujourd’hui l’éventail des choix à accomplir dans notre vie est presqu’infini. L’effort n’est plus la condition indispensable à la survie. Chacun jouit d’un bout de la prospérité collective sans avoir obligation d’y participer. Cela ouvre une possibilité nouvelle : ne rien faire. Et tout commence à l’école, les taux de succès pour le brevet sont dopés de 3 à 6 points selon les académies. La progression du nombre de reçus au baccalauréat est le signe de son changement de fonction. C’est devenu un rituel d’agrégation sociale. C’est à l’institution de s’adapter plutôt que de demander des efforts aux élèves. Désormais, on ne lit plus car l’effort demandé est trop important et on apprend en se divertissant via le numérique. L’effort n’aurait pas disparu s’il n’avait pas été discriminé.

Au début du 21éme siècle, toutes les conditions sont réunies pour que sonne le glas de l’effort. Il n’est plus la règle mais l’exception car les progrès de la civilisation industrielle et agricole ont été immenses. Nous avons accès à un niveau de vie prodigieusement supérieur à celui de nos aïeux au prix d’un effort considérablement inférieur. On veut bien consommer, mais de moins en moins produire. Il ne s’agit plus de réaliser la meilleure prestation possible mais de faire ce qu’il suffit pour mériter son salaire. La paresse n’est plus un défaut mais un actif à gérer. Le signe le plus spectaculaire étant la sédentarité : la flemme triomphante en découle la baisse de nos capacités physiques. Les adolescents d’aujourd’hui ont perdu un quart de leur capacité pulmonaire par rapport à ceux de de 1990. Santé Publique France a lancé en septembre 2022 une campagne publicitaire « Faire bouger les ados, ce n’est pas évident. Mais les encourager c’est important » à l’instar d’une autre campagne publicitaire récente « installer WhatsApp sans effort sur votre tablette ».

On a fêté en décembre 2023 les 25 ans des 35 heures – qui nous ont fait perdre l’un de nos deux avantages concurrentiels vis-à-vis de l’Allemagne – et les 42 ans de la retraite à 60 ans par répartition. Le problème des décisions politiques c’est qu’elles mettent très longtemps à prouver leur bien-fondé ou leurs défauts. En l’occurrence ces décisions se révèlent être des catastrophes absolues. Les 35 heures c’était l’illusion de l’argent gratuit avant la lettre (il est à noter que nous n’avons pas été copié sur ce sujet). La France travaille trop peu. En 1980, nous étions le 13éme pays en termes de PIB par habitant et nous sommes 25éme en 2023. La France vit au-dessus de ses moyens depuis plusieurs décennies. On achète à l’étranger le travail qu’on n’a pas envie de faire en payant soit avec des actifs soit avec un droit de tirage sur nos impôts futurs.

Hier on n’existait que par le groupe, maintenant tout se passe comme si le groupe n’existait que pour nous. C’est le deuxième pilier de l’effort qui s’effondre, on n’existe plus pour les autres mais pour se faire plaisir. Fuir l’effort diminue la quantité produite mais aussi notre tolérance à l’effort. Ceci frappe aussi la Chine, où la révolte n’étant pas possible, les jeunes protestent en restant couchés.

La fin de l’effort désarme l’esprit en affaiblissant la raison au profit de l’émotion, elle fait le lit de la grave crise sociale que nous traversons. Le monde de l’émotion prétend valoriser l’individu mais il le prive de son autonomie.

Nous avons escamoté le héros qui était hier un vivant appel à notre courage, il est désormais inconvenant car il fait ressortir la lâcheté de tous les autres et il est remplacé par une nouvelle figure : la victime qui donne à la fois une identité, un but et une excuse.

Les robots vont-ils prendre le pouvoir ou sommes-nous en train de leur donner ? Alors l’auteur lance un appel : il faut sauver l’effort car l’intelligence artificielle accélère son déclin.

Olivier BABEAU, lauréat du Prix Turgot 2020 pour son livre « le nouveau désordre numérique ». Enseignant universitaire et auteur de plusieurs ouvrages Il a été directeur des études de la Fondation Concorde . Il dirige l’Institut Sapiens.

Michel Gabet

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