Et si la puissance n’appartenait plus aux grandes nations ? Nicolas Tenzer en est certain: les jours des grandes puissances sont comptés. Les États-Unis de Trump ont brisé l’Alliance atlantique ; la Chine, qui est une puissance de prédation, s’enlise dans ses contradictions internes ; la Russie est placée sous le signe du « no future ».
Il est aujourd’hui une croyance tenace dans de nombreux milieux diplomatiques : la politique internationale serait essentiellement déterminée par les grandes puissances et leur jeu. Les autres pays ne seraient certes pas sans importance dans cette conception convenue, leur politique pourrait être parfois désorganisatrice, mais ils n’auraient jamais plus le dernier mot ! Le retour à « la grandeur de l’Amérique qui doit être fondé sur un rapprochement avec la Chine, révèle la faiblesse de Etats Ubnis. Les « moyens grands pays » membres du Conseil de Sécurité ont d’autant plus chéri l’idée d’un club fermé des cinq qu’il projetait une image aussi flatteuse qu’un maquillage précaire ! Or jouer l’ambiguïté permanente donne l’illusion de la puissance dans l’absence de confiance assumée, mais dissimule une absence de volonté. Parallèlement, certains décrivent la Russie comme un « tigre de papier » et par ailleurs, il n’est pas évident que se réalise la prévision d’une Chine première puissance mondiale sur les plans économique, technologique et militaire en 2049 !
La multipolarité possible voire émergente du monde conduirait à l’apparition d’Etats révisionnistes.Aussi de l’éclatement radicale des pôles pourra faire advenir plus de liberté. Des acteurs plus agiles sont susceptibles de réinventer les règles du jeu international : l’Estonie, pionnière dans les alertes sur la sécurité de l’Europe ; la Turquie si elle parvient à choisir son camp ; la Syrie libérée de ses occupations criminelles, mais aussi les moyennes puissances de l’Asie centrale et de l’Est. Ensemble, les démocraties du Nord, du Sud et de l’Est peuvent regrouper leurs forces contre les puissances révisionnistes. Ensemble, elles pourront faire face aux pseudo-empires. La France et le Royaume-Uni auront à jouer un rôle moteur dans cette recomposition. Quant à l’Ukraine, sa résistance héroïque démontre la capacité des États moyens à tenir tête aux anciennes puissances.
À travers une analyse des nouveaux rapports de force, Nicolas Tenzer révèle comment ces États « intermédiaires » redessinent la carte du monde : ils créent des alliances inédites, développent des stratégies d’influence originales et prouvent qu’on peut d’autant mieux peser sur la scène internationale qu’on n’est pas une superpuissance. Demain, la sécurité du monde et la liberté des peuples reposeront sur la détermination des petites et moyennes nations. L’épisode Trump aura peut-être été le moment de cette prise de conscience.
L’auteur passe en revue les limites de puissance des Etats post coloniaux, de la Chine, des Etats-Unis, de l’Inde, la désorganisation africaine et l’absence de stratégie des pays du Moyen-Orient. Dans le même temps, apparaissent une résistance des peuples et l’émergence d’un modèle dit « ukrainien » de nation du futur.
Alors G-Zéro ou G-infini ? quelle construction de la stabilité ? Le signal offert par une victoire de l’Ukraine sera assurément déterminant, à la fois symboliquement et en pratique, elle pourrait faire des émules. Cette victoire est donc existentielle pour l’Europe et les autres moyennes puissances ! La force d’un peuple en arme est sous-estimée jusqu’à ses prochaines victoires. Alors que dans le monde ancien, il était habituel de considérer que les grandes puissances formaient un axe de sécurité, « la sécurité et la liberté de demain adviendront à travers les petits et moyens Etats ».
L’ouvrage est étayé par des observations très pertinentes grâce à l’érudition géopolitique de l’auteur. Comme toute projection, les conclusions du livre ne seront pas nécessairement avérées, mais le seront peut-être. Un livre nécessaire pour nous extraire du chaos médiatique et prendre du recul. Le lecteur obtiendra des informations et des éléments de raisonnement lui permettant de peaufiner les siens. D’accord ou pas avec la thèse de l’auteur, elle doit être connue. Dans un environnement sombre d’un monde en guerre, ce livre est un tunnel au bout duquel apparait une lueur élément d’optimisme.
Dominique CHESNEAU