L’IA générative est-elle une innovation de rupture ?

L’innovation constitue un immense champ de recherche, fondé notamment sur les célèbres travaux de Schumpeter, qui assimile sa forme la plus radicale à une « destruction créatrice » à la fois technologique et sociale. L’innovation se distingue de l’invention, qui n’est qu’une solution à un problème technique. Si elle recouvre une découverte technique majeure comportant des impacts sociétaux significatifs, elle est alors qualifiée « d’innovation de rupture », car elle entraîne un réel changement des valeurs, visions et comportements des producteurs et des consommateurs   impliqués. 

L’IA générative est une avancée technologique

Depuis Eliza, le 1er agent conversationnel (chatbot) conçu en 1965, puis l’application Alice en 1995, le dialogue entre l’homme et la machine a réalisé des progrès significatifs. Mais c’est le lancement de ChatGPT par la start’up OpenAI, en partenariat avec Microsoft en novembre 2022, qui marque l’étape la plus décisive dans l’histoire des technologies et de l’économie digitales. ChatGPT a constitué un réel progrès dans le développement du deep learning et de la génération de langage naturel (LLM). L’application conjugue de nombreuses avancées de l’IA (approche par les réseaux neuronaux, simulation de textes et d’images, modèles d’attention et de prolongement, apprentissage par renforcement…), qui l’ont rendue plus ergonomique, plus performante, plus fiable et moins biaisée. L’IA générative recourt à de l’apprentissage automatique supervisé et non supervisé, ouvert ou fermé, au traitement du langage sur des données non structurées et à la vision par ordinateur de documents d’identité et des vidéos de caméra de surveillance… La performance de ChatGPT a été surtout rendue possible par la démultiplication des capacités de captation, de traitement et de stockage de données.

L’IA générative est un phénomène sociétal 

Un million d’internautes ont adhéré à ChatGPT dans les 5 jours suivant son lancement et à la fin de 2023, plus de deux milliards de requêtes ont été dénombrées à l’échelle mondiale. Quatre versions de chatGPT ont été lancées en 3 ans par OpenAI, afin d’améliorer la compréhension et la génération du langage naturel. Bien qu’étant la référence dans son domaine, Open AI a déjà de nombreux concurrents. Meta, société-mère de Facebook, initiatrice du langage LLM, a lancé en février 2023, l’application LLaMa 1 puis en juillet LLaMa 2, proches du modèle GPT-3. De son coté, Google a proposé l’agent conversationnel Bard, basé sur le Language Model for Dialogue Applications, puis il a introduit le LLM Palm 2  spécialisé dans la traduction, l’aide à l’encodage et les logiques mathématiques. La start’up  Anthropic, a révélé en mars 2023, le chatbot Claude 1, en deux versions, standard et haute performance, puis elle a  présenté en juillet,  Claude 2, et en août  Claude Instinct 1.2. et Claude 2.1., axés sur la sécurité. La société française LightOn a parallèlement annoncé la sortie d’Alfred-40B-0723,  avec un LLM destiné aux entreprises. En septembre 2023, la licorne française  Mistral AI  a annoncé l’accès en open-source de son LLM  Mistral 7B. Le chinois Baidu a dévoilé  Ernie Bot 4, puis la start’up  Inflection A, a annoncé le lancement de son chabot conversationnel Pi. Plusieurs de ces projets ont été   soutenus et financés à hauteur de 1 à 4 milliards $ par des GAFAM et/ou des fonds d’investissement. GPT-4 est considéré comme étant le système d’IA le plus sophistiqué, avec la capacité à traiter plusieurs types d’entrées, incluant les images, l’audio, les vidéos et le texte. Elle est également capable de produire une gamme étendue de sorties, comme des sons, des vidéos et d’autres formes de contenus numériques. La génération suivante du modèle GPT-4 Turbo disposera d’une fenêtre lui permettant de contenir l’équivalent de plus de 300 pages de texte. GPT-4 Turbo sera accessible à un coût par jeton d’entrée et de sortie deux fois moins élevé que GPT-4. GPT Builder permettra également, sans connaissance en programmation, de construire son propre chatbot interne, et GPT Store permettra ainsi de recevoir une rémunération en fonction du nombre d’utilisateurs. Les nouveaux assistants d’IA, comme Copilot de Microsoft, traitent des instructions complexes et exécutent une suite de tâches.  Des plateformes d’assistance basés sur des modèles ouverts ou fermés commencent à apparaître. La combinaison de l’IAg, des blockchains et des futures applications de l’informatique  quantique, devraient permettre  à terme de sécuriser les flux de données et de devises en crypto- monnaies et crypto- actifs.

L’IA générative est plus transformatrice que destructrice d’emplois 

Face à ces progrès, les utilisateurs de l’IA générative appréhendent ses « boites noires » mais aussi ses « cygnes noirs ». Les premières recouvrent les biais psychologiques d’algorithmes de plus en plus « apprenants », donc opaques. Les seconds rendent imprévisible la date à laquelle les machines remplaceront complètement les humains. La nouvelle génération d’algorithmes est en mesure de bouleverser les pratiques de nombreux métiers, notamment dans la recherche (avec les nouveaux moteurs de recherche et algorithmes de calcul), l’enseignement (avec de nouvelles applications pédagogiques), le contrôle et le fisc (avec les applications de détection de fraude), le métiers du droit et du chiffre, ainsi que le journalisme (avec les logiciels de rédaction et de traduction), le commerce en ligne et le conseil bancaire (avec les profileurs, les calculateurs et les agents conversationnels)… Bien que les derniers rapports de la Banque Centrale Européenne et de l’Organisation Internationale du Travail soient de nature à les rassurer, car ils ne prédisent pas de suppressions nettes d’emplois significatives, les utilisateurs s’inquiètent toutefois de l’ampleur des reconversions professionnelles à engager.

Les observations précédentes permettent donc de considérer que l’IA générative, par ses multiples applications et par la fulgurance de son développement, est bien une de grandes innovations de rupture de la première moitié du XXIe siècle.

Jean-Jacques Pluchart

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