Jean-Jacques Pluchart
En privilégiant la concurrence, le Conseil et la Commission de l’Union européenne n’ont pas engagé de véritable stratégie industrielle dans la plupart des secteurs d’activité, et notamment dans ceux de la production et de la mobilité électrique. Cette lacune est révélée notamment par les nouvelles ambitions industrielles affichées dans ces domaines par les Etats-Unis et la Chine.
La politique de neutralité technologique appliquée par les 27 gouvernements de l’Union, met en lumière leurs divergences sur le sujet fondamental de la compétitivité industrielle du Vieux continent. Les gouvernants de l’Union ont fixé des objectifs principalement environnementaux dans certaines filières, sans règlemetations et financements adaptés. Ainsi, à partir de 2020, la forte réduction souhaitée des émissions de CO₂ a contraint les constructeurs à se convertir dans l’urgence à la mobilité électrique, sans maîtrise suffisante des technologies (notamment hybrides), des sources d’approvisionnement (en batteries), des infrastructures de recharge, des financements dédiés, des cadres comptables et des filières de formation. En l’absence de directives concertées, les constructeurs automobiles européens ont privilégié la production de véhicules électriques haut de gamme avec un succès très mitigé, tandis que les constructeurs chinois ont engagé la production massive de petits véhicules électriques. Il semble que le Parlement manque de culture industrielle et la Commission européenne d’experts capables de contrôler les lobbys des constructeurs.
Le « rapport Draghi », rendu public en septembre 2024, a pourtant dénoncé le déficit européen de compéttivité sur les Etats-Unis et la Chine dans plusieurs secteurs industriels- clé. Le rapport préconiqe de stimuler l’innovation notamment dans la filière de l’intelligence artificielle. Il évalue à 800 milliards € l’investissement cumulé à réaliser sur 10 ans… soit le même montant que celui affecté à la défense par le « plan Rearm ». Le « rapport Draghi» a également proposé de lancer un plan commun en faveur de la décarbonation des activités industrielles, de la sécurité des approvisionnements et d’une réduction de la dépendance de l’Europe en ressources critiques. Le rapport étend ses recommandations notamment aux filières de l’hydrogène, des lanceurs spatiaux et du micro-nucléaire. Il fait appel au patriotisme économique des européens et les enjoint de surmonter leurs divisions face à la mise en commun des ressources sensibles, à l’orientation des investissements et la prise de mesures protectionnistes (notamment par des standards écologiques).
Mais des siganux encore faibles sont perceptibles. Directement confrontée à la concurrence chinoise dans le secteur automobile, l’Allemagne a remis récemment en cause son dogme de l’austérité budgétaire, et affiché sa volonté de construire une filière dédiée à la mobilité électrique.
La France a pour sa part anticipé ce mouvement en engageant en octobre 2021, son plan « France 2030 » dont l’objectif est de renforcer la souveraineté industrielle et technologique du pays . Doté d’une enveloppe d’investissement de 54 milliards € (dont la moitié dédiée aux PME), ce plan fixe 10 objectifs et actionne 6 leviers pour accompagner la transformation de l’économie française, centrée sur les secteurs d’avenir comme le numérique, l’hydrogène, les batteries, l’espace, la santé et la décarbonation. 14 des 16 indicateurs sont en ligne avec la trajectoire fixée. A fin 2024, les financements ont permis de soutenir 7 457 projets, 6 103 dépôts de brevets, et de mobiliser 196 824 emplois, dont 156 009 emplois après la mise en œuvre des projets, témoignant de leur impact durable. Plusieurs résultats ont été rendus publique en matière d’émission de GES, de bio-médicaments, de nouveaux modes de transport, de la filière électronique, de la robotique, des nouveaux matériaux, des ordinateurs quantiques, du développement de l’hydrogène et de formation aux nouvelles technologies. Le plan « France 2030 » vise également à assurer l’émergence, l’industrialisation et la croissance des start-ups Plus de 7 milliards € d’aides leur ont été attribuées afin de soutenir 925 projets et de financer 130 fonds de capital-risque àu début de 2025. Mais la poursuite de la mise en œuvre de ce plan implique, comme dans la plupart des autres pays européens, d’harmoniser et de simplifier les cadres réglementaire, financier et fiscal.
L’europe saisira t elle l’opportunité que lui offre la recomposition géopolitique mondiale initiée par les Etats – Unis ?