Entre innovation et réglementation, quels choix pour l’Europe ?
Conférences-débats organisées par le cabinet Debouzy, 12 février2025.
Au lendemain du sommet « pour l’action sur l’IA » organisé à Paris et de la journée « portes ouvertes » de la station F , ainsi que de la publication des rapports Draghi et Letta et du plan «Boussole de compétitivité » de la Commission européenne, mais surtout, de l’élection de Donald Trump et des bouleversements géopolitiques et technologiques en cours, quelle sera la place de l’Europe dans les nouveaux équilibres ? Peut-elle imposer ses règles comme une référence mondiale ? La régulation prônée au cours du précédent mandat de la Commission européenne – notamment en matière de protection des données personnelles (RGPD) a-t-elle des chances de s’imposer dans l’IA ?
Marc Mossé (conseiller environnement chez Debouzy) a rappelé les enjeux du sommet de Paris qui a réuni des chefs d’Etat et des dirigeants des majors de la tech. Il constate que depuis 15 ans, l’IA n’est plus un enjeu de régulation d’un « bien commun », mais est devenu un « levier de puissance » d’un Etat dans l’affrontement entre les blocs géopolitiques. Il constate que depuis l’émergence en 2022 de l’IA générative, les enjeux financiers ont décuplé, les américains affichant la levée de plus de 500 milliards $, l’Union européennes de plus de 200 milliards € et la France de 109 milliards € (apparemment non inclus dans l’enveloppe européenne), pour financer le développement de l’IA.
Pierre Sellal (ambassadeur de France) déclare que le sommet de Paris a permis de mieux mesurer les impacts de l’IA dans certains secteurs comme la défense, la santé ou l’énergie, mais que paradoxalement, les effets de l’IA sur l’emploi et l’éducation, ainsi que les questions éthiques posées par certaines applications de l’IA, avaient été insuffisamment débattus. Il constate que des divergences majeures sont apparues entre les approches américaine et européenne de la régulation de l’IA. Deux pays majeurs – les Etats Unis et le Royaume Uni – ont refusé de signer la déclaration finale du sommet.
Florence G. Sell (professeur à Stanford) observe un creusement de la fracture culturelle entre les juristes américains et européens (notamment français), les premiers étant favorables à une soft law basée sur une « gouvernance » de l’IA et a un encadrement souple de la chaîne de valeur de l’IA , et les seconds étant plutôt attachés à une hard law reposant sur des principes éthiques et une régulation des pratiques. Les premiers s’opposent à la « bureaucratisation du développement de l’IA » (the « Bruxelles effect ») et les seconds sont hostiles à des pratiques libertaires relevant du crony capitalism au nom de la liberté de création. Les GAFAM sont cependant plutôt opposés aux applications open source, préférant une open source way, qui dévoile les logiques de traitement des données, mais pas les codes source eux-mêmes et les bases de données d’entrainement considérées comme des secrets d’affaires. La diffusion récente en open source de la solution chinoise DeepSeek a suscité des réactions dans l’écosphère de l’IA, plusieurs experts considérant que le logiciel a été entraîné par des données issues des résultats des traitements de chat GPT (« distillation ») et que cette pratique collective pourrait à l’avenir réduire les coûts de stockage et de traitement des bases actuelles de données.
Mahasti Razavi (associée chez Debouzy) assure que l’Union européenne – et notamment la France –a de nombreux atouts face aux concurrents américains et chinois. Elle dispose d’une élite d’ingénieurs en IA et de plusieurs grands centres de stockage de données. En 2024, plus de 800 start’up ont été créés en France. Le marché européen des utilisateurs de solutions d’IA demeure toutefois trop étroit et fragmenté face aux marchés américain et chinois. Mahasti Razavi préconise la mise en place à long terme d’un « cadre de sécurité » basé sur la confiance entre les multiples parties prenantes de l’IA (associant experts, praticiens, politiques, juristes et académiques) et fondé sur des règles praticables de « bonne gouvernance » appliquées à une « IA plus frugale » que l’IA générale actuelle. elle reconnait que l’IA Act actuel mérterait d’être simplifié.
Les débats qui ont suivi les conférences ont notamment porté sur les impacts positifs (les solution d’IA peuvent engendrer des avantages compétitifs pour les entreprises) et négatifs (l’IA détruit certains emplois et implique des efforts sans précédent de reconversion, principalement dans les métiers de services). Des efforts devront notamment être consentis en matière d’enseignement et d’apprentissage de nouveaux métiers.
Notes de J-J.Pluchart