L’AVENIR DES BANQUES CENTRALES AU TRAVERS DES PRIX TURGOT

Le gouverneur de la BCE a déclaré, le 26 juillet 2012, qu’il était prêt à « acheter des quantités illimitées d’obligations sur le marché secondaire » – par la célèbre formule « whatever it takes » – dans le cadre d’un programme d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing ou QE). Cette annonce a suscité des débats dans les milieux financiers et politiques européens, mais elle n’en a pas moins permis de restaurer la confiance des banques, des investisseurs et des épargnants. En se comportant en prêteur en dernier ressort (PDR), la BCE a enrayé le mouvement de panique qui avait provoqué un « choc de liquidité » en gelant le marché interbancaire. Elle a relancé les achats d’obligations publiques tout en ouvrant « l’ère du taux zéro et de la courbe inversée des taux ». Mais cette mesure non conventionnelle a été jugée contraire à la fois aux principes de l’économie monétaire définis au xixe siècle par Thornton et Bagehot, à la théorie « ordo-libérale » fondatrice du Marché commun et même (selon la justice allemande) au mandat de la BCE. Elle a néanmoins jeté les bases d’une « nouvelle économie monétaire moderne » (new modern monetary theory). Les débats se sont étendus aux missions et aux instruments des banques centrales, qui doivent désormais tout à la fois lutter contre l’inflation, arrêter leurs achats obligataires (tapering), encadrer les marchés de crypto-monnaies et assurer la stabilité des marchés monétaire et financier.

A l’instar des experts anglo-saxons, les auteurs des ouvrages français publiés depuis dix ans reconnaissent dans l’ensemble le bien-fondé et l’efficacité des mesures prises par la plupart des banques centrales, mais ils sont réservés sur leur maintien et partagés sur les réformes à apporter au système monétaire. Tandis que certains appellent un retour aux théories fondatrices, d’autres préconisent une réforme globale – sinon radicale – du système, et d’autres enfin ne recommandent que la prise de nouvelles mesures plus ou moins ciblées.

Parmi les fondamentalistes, Jacques Rueff est un inspirateur de l’ordre ordo-libéral monétaire (Minart, 2016) et de Larosière (2022) s’affirme comme étant le champion du respect des théories classiques de l’économie monétaire, avec toutefois un meilleur fléchage des crédits vers l’économie réelle. Ugeux (2020) appelle à un retour urgent aux fondamentaux de l’économie monétaire.

Parmi les refondateurs, Aglietta (2016) prône une réforme du système des banques centrales, qui serait notamment basée sur la transformation du FMI en « banque centrale des banques centrales ». Les refondateurs les plus radicaux (Rodarie, 2020) sont favorables à une annulation pure et simple des obligations souveraines détenues par les banques centrales dans le cadre du Quantitative Easing, ce qui conduirait à une monétarisation des dettes publiques. Lemoine (2022) préfère une remise en marché de ces dettes (tapering), tandis que Serval et Tranié (2022) proposent plutôt leur cantonnement dans une structure de défaisance, à l’instar de la dette du Crédit Lyonnais en 1992.

Parmi les réformateurs, Artus et Virard (2016) recommandent un ajustement de la base monétaire sur la croissance économique réelle de chaque zone. Artus et Pastré (2020) suggèrent une mutualisation des dettes publiques à l’échelle européenne, accompagnée d’un vaste train de mesures financières et fiscales. Plusieurs réformateurs s’opposent à une monétisation des déficits budgétaires. Badré (2016) souhaite une création monétaire initiée par des banques multilatérales de développement chargées de ne financer que des investissements productifs. Levy-Garboua (2017) propose des mesures concrètes de réorientation du crédit vers les investissements et les emplois dans les industries et les services. Burguière (2018) recommande un encadrement des émissions obligataires des États finançant des déficits budgétaires. Grandjean et Dufrêne (2020) préconisent plutôt une création monétaire engendrée par les crédits de banques publiques d’investissement en faveur des projets écologiques. Cœuré, Kotz et al. (2022) recherchent, par divers dispositifs, une synthèse entre une approche ordo-libérale (favorable à l’indépendance des banques centrales) et une approche néokeynésienne (favorable à l’État providence) de la création monétaire. Couppey-Soubeyran, Delandre et Sersiron (2024) proposent enfin de réformer le système monétaire international en créant une nouvelle « monnaie volontaire » (lire la rubrique prix 2025).

Les analyses et les propositions formulées dans ces ouvrages ont révélé les divergences entre les visions de l’avenir des banques centrales exprimées par les banquiers centraux et les experts monétaires.

Chronique rédigée par Jean-Jacques Pluchart  

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