L’autrice veut nous interpeller sur le fait que la dette publique ne s’est pas invitée dans le débat en France comme cela a été le cas en Grande Bretagne ou en Allemagne. Comment en est-on arrivé à ce rapport tantôt irrationnel, nié ou dramatisé?
Après avoir financé la guerre de 1914 -18, le Bon du Trésor s’invite dans les foyers et déjà des voix s’élèvent pour constater combien l’éducation financière du public est insuffisante. Le manque de consentement à l’impôt qui sévit en France empêche toute solution d’épargne forcée comme en Grande-Bretagne, la dette publique devient un mode de financement pérenne et discret des dépenses de l’état. Après la deuxième guerre mondiale la France n’a pas fait le choix de la rigueur et de l’austérité mais a décidé de régler ses dettes de guerre par l’inflation et la dévaluation du franc. La période 1959 -1973 a vu le retour à une doctrine plus orthodoxe qui a été qualifiée de décennie vertueuse, l’équilibre du budget étant redevenu la priorité. Après le choc pétrolier de 1973 un système d’assistance sociale généralisé financé directement par l’état est mis en place pour répondre à l’inquiétude de l’opinion publique plus soucieuse du chômage et de son pouvoir d’achat que du déficit budgétaire. Les émissions d’emprunts d’état sont réservées aux professionnels ce qui a pour conséquence de rendre la dette publique « invisible ».
Depuis 1975, le budget de la France n’a plus jamais été en équilibre et son déficit est surtout financé par des emprunts. Le mot dette n’était pas utilisé et se confondait avec celui de déficit budgétaire. La mise en place de l’Euro oblige la France à être plus vertueuse, le thème de la dette entre de plus en plus fréquemment dans le débat public. Forte de son poids politique et économique la France peut être moins vertueuse que d’autres pays de la zone euro. En 2006 la publication du rapport de la commission Pébereau « Rompre avec la facilité de la dette publique » met en avant le manque de productivité de l’Etat, la prolifération d’acteurs et d’instruments inefficaces et surtout la facilité d’endettement de la France sur les marchés financiers ce qui a joué un rôle anesthésiant, recevra un véritable écho auprès des médias et des politiques. Apres la crise des dettes souveraines de 2010 la dette s’affirme dans le débat public et se politise
Pourtant la dette joue un rôle majeur dans l’équilibre des comptes publics et par ricochet dans le niveau de vie de la population. Depuis la pandémie et « le quoi qu’il en coûte » qui a rendu inaudible le discours sur le sérieux budgétaire, la dette publique devient un sujet de préoccupation. La cour des comptes a lancé un appel avant le vote du budget 2024 : « si on ne fait rien, l’explosion de la dette va paralyser l’action publique ». Le dévoiement de la dette à des fins politiciennes empêche un vrai débat démocratique sur ses enjeux sociaux. La fracture sociale se double d’une fracture entre les générations qui empêche tout consensus. C’est un enjeu collectif et politique décisif qui doit recevoir une réponse rapidement.
Chronique rédigée par Michel GABET