Jean-Jacques Pluchart
L’économie numérique et notamment l’Intelligence Artificielle, sont souvent présentées comme libérant le travailleur des tâches les plus aliénantes au profit d’actions plus créatives, mais elles sont également perçues comme pouvant engendrer une perte de sens de l’action, un mal-être professionnel et une violence au travail. Dans le cadre d’une organisation, la violence peut revêtir de multiples formes : verbale et physique, psychologique et sociale, symbolique et structurelle, qui diffèrent selon de multiples facteurs : l’activité exercée, la situation de travail, le genre, mais aussi selon les systèmes mis en œuvre, comme dans le cas des technologies numériques couvrant les automatismes et les systèmes-experts, l’internet et les réseaux sociaux, les applications d’’IA symbolique et générative. La violence peut s’exercer entre les acteurs eux-mêmes (entre collègues, entre supérieurs et subordonnés) et /ou entre ces derniers et les parties prenantes (clients, usagers, fournisseurs…) de l’entreprise ou de l’administration, mais elle peut être aussi causée par une procédure ou un système.
La forme la plus citée de violence à l’encontre des travailleurs qui est générée par l’IA, réside dans la peur de perdre son emploi et d’être ainsi déclassé socialement, ou bien de devoir s’adapter à un nouveau poste de travail dit « augmenté » par l’IA. Le futur « homme-robot » craint notamment d’être confronté à l’ingratitude et à la solitude d’un travail exercé à distance, seul face à un écran, en proie aux dysfonctionnements et aux « boites noires » d’un système, et le plus souvent soumis à un panoptisme digital. Il redoute de perdre le sens de son travail, de ne plus reconnaitre son ordre symbolique, de ne plus connaitre son identité professionnelle. Il appréhende d’être ainsi exposé au stress et à l’épuisement professionnel de « l’homme asservi ». Cette anxiété peut être d’autant plus dépressive qu’il ne peut le plus souvent actionner ses systèmes de défense (par le déni, le déplacement, la dérision, la sublimation…) à l’encontre d’un « robot » dont l’emprise est inévitable.
La violence de ce nouveau rapport au travail est d’autant plus implicite qu’elle est marquée par l’incertitude pesant sur la date et les conditions de la mise en place du nouveau système ainsi perçu comme un « cygne noir ». La menace est d’autant plus latente qu’elle couvre un nombre croissant de postes de travail, allant du back (administration) au middle (production et contrôle) et au front office (relations clientèles…). Elle atteint désormais les managers et les dirigeants chargés de réorganiser une entreprise ou un service, d’arbitrer entre des systèmes opératoires souvent complexes, d’assurer leur cybersécurité et de former le personnel à de nouvelles pratiques. Ils sont ainsi exposés à de nouveaux types de risques pour la durabilité de leurs organisations et pour l’avenir de leurs propres carrières.
Ces observations lacunaires montrent que les formes de violence au travail engendrées par le développement accéléré de l’IA, ne peuvent être détectées, analysées et encadrées que par des approches de la GRH faisant appel à la psychologie et à la sociologie, mais aussi à l’anthropologie et à la psychanalyse.



