Nous connaissons tous Dominique MOISI pour l’avoir lu ou vu. Membre fondateur de l’IFRI, il a enseigné à Harvard, au King’s College de Londres, à l’ENA et à Sciences Po. En 2008, il avait publié « La Géopolitique de l’émotion » [i]aux Editions Flammarion dans lequel il décrivait les cartes des émotions dans le monde. Il était convaincu qu’afin de comprendre notre environnement géopolitique, il fallait déchiffrer les émotions premières derrière le masque des différences culturelles. Il trouvait plus d’espoir en Asie, plus d’humiliation dans le monde arabo-musulman et…plus de peur dans le monde occidental présent et futur.
Quinze ans plus tard, cet ouvrage a l’ambition de regarder le monde avec les mêmes lunettes pour l’observer à travers du prisme des émotions. Qu’en est-il donc aujourd’hui ?
La peur prévaut sur l’espoir et au monde de 2008, Moisi ajoute l’humiliation des émotions brutales comme la colère, la rage et même la haine. Ainsi le monde est-il devenu plus sombre et plus complexe et moins bien défini par la géographie et les émotions sont beaucoup plus « mêlées » qu’elles ne l’étaient en 2008. En Asie, c’est bien plus en Inde qu’en Chine que se trouve l’espoir, et en Europe, la peur est pondérée par l’espoir si l’on estime que la guerre en Ukraine se terminera « positivement » pour l’Europe.
Plus généralement, si la peur prévaut néanmoins sur l’espoir, le monde est marqué par une oscillation entre bipolarité et tripolarité, entre mondialisation et interdépendance.
Les chapitres sont très clairs : la guerre en Ukraine et le divorce émotionnel du monde, l’émergence du Sud global (mais n’y a-t-il qu’un seul Sud ?), le durcissement de l’Orient global, l’Occident entre polarisation et résilience. Ainsi, on « sent » que le pire n’est pas certain. Le monde marche vers l’Orient mais pas nécessairement vers des régimes despotiques car ils sont plus faibles qu’ils ne le pensent et que ne peuvent l’être les régimes démocratiques. Les changements climatiques, s’il l’on traite correctement le sujet, peuvent être une chance offerte de nous comporter de façon responsable. Les migrants représentent plus « un bienfait qu’une menace ».
Certes, comme « Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté » selon le philosophe Alain, l’Occident doit affirmer son socle de valeur et son éthique et se battre pour rester ce qu’il est où redevenir ce qu’il était. Le triomphe des émotions ne signifie pas la fin de l’espoir.
Le désespoir devant ce qui n’est peut-être qu’une illusion prospective de fatalité ne constitue pas une attitude responsable. Prendre conscience de la nature exceptionnelle des défis de la polycrise décrite dans l’ouvrage ne doit pas conduire au désespoir mais au sursaut. La résilience des humanismes ne saurait être sous-estimée par les autoritarismes qu’à leurs dépens. L’énergie de l’espoir est bien toujours présente. Il appartient aux pays membres de l’Occident de ne pas décevoir les Ukrainiens, les femmes iraniennes et quelques autres.
« Puisse leur courage ne pas être vain, puisse leur leçon d’espoir être entendue » !
Chronique rédigée par Dominique CHESNEAU