Le capitalisme a joué un rôle crucial dans le progrès social depuis deux siècles par l’innovation entrepreneuriale. Les biens et services créés en masse ont contribué à l’amélioration constante de nos conditions de vie. Les sociétés se sont servies de l’efficacité productive du capitalisme pour imposer la direction dans laquelle elles voulaient avancer. La loi a renforcé le pouvoir de négociation des salariés afin que la relation avec l’employeur ne se fasse plus uniquement dans le cadre marchand.
Les démocraties ont forcé le capitalisme à être un moteur du progrès. Le développement d’une sphère non marchande a été rendue possible grâce au capitalisme. La hausse de la productivité de ceux qu’il emploie a permis de satisfaire les besoins de ceux qu’il n’emploie pas : enseignants, juges, policiers, infirmières, … C’est à la société de décider comment son État est organisé et à la démocratie qu’il incombe de se préoccuper de l’efficacité de cet État.
Les forces mises en œuvre ont agi de façon différente d’un pays à l’autre. Aux États-Unis où le capitalisme est largement laissé à lui-même, l’État s’efforce de stabiliser le plein emploi, pour maintenir et augmenter les salaires, par le bais de sa politique monétaire. L’Europe quant à elle, privilégie les transferts sociaux et les aides à l’emploi, quitte à supporter du chômage, pour le maintien et la hausse des salaires. La Russie et la Chine, tout en s’appuyant sur le capitalisme, ont renoncé au modèle démocratique et ont amorcé un retour à l’impérialisme.
A la fin du XIXe et du XXe siècle, l’échange marchand et son corollaire, la circulation monétaire, vont créer deux vagues de mondialisation. La première va se traduire par une migration sans précédent des pays les moins industrialisés (Suède, Espagne, Italie, Portugal, Pologne, Irlande) vers les pays les plus industrialisés (France, Angleterre, Allemagne, Belgique et États-Unis). La seconde verra une migration, non des personnes, mais des usines et des capitaux vers les pays à « bas salaires ». Le contraste entre ces deux mondialisations est total. Dans la première vague, les capitalismes étaient restés nationaux alors que dans la seconde ils se sont mondialisés, par l’irruption des pays à bas coûts, créant des vagues de licenciements dans les pays délocalisateurs ainsi que des interdépendances pouvant devenir sources de menace.
La montée des inégalités de toutes sortes (dérèglement climatique, menaces sur la paix civile) compromet le fonctionnement des démocraties. La pérennité des modèles sociaux occidentaux est en jeu. Ces modèles reposent sur l’adhésion majoritaire de la population, à la différence de la Chine et de la Russie qui peuvent utiliser la répression pour assurer leur stabilité. Le défi des démocraties pour retrouver la cohésion sociale est donc colossal. L’État doit redevenir stratège, consolider ses capacités d’intégration et pour cela redéfinir son appareil éducatif, son système de santé, de police, de justice, mais également repenser l’aide au développement pour freiner la pression migratoire. Démocratie et capitalisme ne sont pas les faces d’une même pièce comme la Chine nous l’a démontré. Le capitalisme a dégagé une formidable masse d’épargne que les gouvernements doivent maintenant utiliser pour « reconstruire le socle des solidarités qui sont le fondement des sociétés démocratiques ».
Anton BRENDER est économiste chez Candriam et professeur associé honoraire à Paris Dauphine. Il a été Directeur du CEPII (Centre d’Etudes prospectives et d’Informations Internationales).
Chronique rédigée par Philippe ALEZARD