L’héritage de Turgot : les leçons de Turgot…

Lorsqu’on relit l’histoire économique de la France, on a l’impression qu’à chaque époque, une voix a rappelé les mêmes vérités simples : on ne dépense pas ce qu’on n’a pas, on ne joue pas avec la monnaie, et on ne fonde pas la prospérité sur des promesses ou des paris.

Turgot, Jacques Rueff et Jean-Marc Daniel ont incarné cette fidélité au réel.

Chacun, dans son siècle, a défendu l’idée que l’équilibre des finances publiques n’est pas un carcan mais une condition de liberté. Leur héritage a traversé le temps et il a tracé un fil rouge qui va du XVIIIᵉ siècle jusqu’à aujourd’hui.

Turgot, la rigueur comme point de départ

Lorsque Turgot a été nommé contrôleur général des finances, il a trouvé un État en désordre budgétaire. Il a refusé les privilèges et dénoncé les gaspillages.

Son mot d’ordre se retrouve dans ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766), où il écrit : « On ne crée pas de richesse en distribuant ce qu’on n’a pas. »

Cette phrase, souvent citée, résume davantage une philosophie qu’un concept économique : la rigueur n’est pas une manie comptable, c’est une exigence morale.

Pour lui, le déficit est une injustice léguée aux générations futures.

Dans une France engluée dans les rentes et les privilèges, il a défendu la liberté du travail, la libre circulation des grains et la suppression des corvées.

Jacques Rueff, le gardien de la vérité monétaire

Un siècle et demi plus tard, Jacques Rueff a repris le flambeau.

Lui aussi a vécu dans un monde d’illusions : celle d’un keynésianisme mal compris et du financement du déficit par la création monétaire.

Aux côtés du général de Gaulle, il participe en 1958 au redressement budgétaire de l’économie française.

Pour lui, la dette publique n’est pas un simple chiffre, mais une faute politique.

Dans L’Ordre social, il écrit : « On ne crée pas d’ordre en défiant les lois naturelles de l’économie. »

L’équilibre budgétaire est, selon lui, un instrument de souveraineté : chaque déficit, chaque relâchement entraîne une dépendance.

Il voit dans la monnaie un instrument moral avant d’être financier.

Dans Le lancinant problème des balances des paiements, il prolonge l’esprit de Turgot : sans contrainte budgétaire, il n’y a pas de liberté durable.

Rueff refuse le fatalisme : dans Le chômage et la monnaie, il démontre que le chômage est le résultat de rigidités accumulées.

Il milite pour une plus grande flexibilité du marché du travail et pour la libre concurrence.

Jean-Marc Daniel, la croissance par la liberté et la responsabilité

Jean-Marc Daniel s’inscrit dans cette filiation. Économiste libéral, il tance la facilité keynésienne.

Son œuvre s’inscrit dans une économie ouverte, mondialisée, où la tentation du repli et de la dépense publique demeure forte.

Son combat intellectuel : rappeler que la croissance durable repose sur quatre piliers essentiels — le travail, l’épargne, la liberté (concurrence) et l’éducation.

Chez lui, la rigueur se double d’une pédagogie.

L’État ne peut pas produire la richesse, mais il en garantit les conditions : sécurité, justice, éducation, stabilité monétaire.

L’économie n’est pas, selon lui, une machine : c’est un ordre moral fondé sur la vérité des prix fixés par la libre concurrence et la récompense de l’effort.

En cela, Daniel est un continuateur de Turgot et de Rueff : il dénonce les dérapages budgétaires publics et estime que la prospérité ne se décrète pas, elle s’éduque.

Philippe Aghion, la continuité créatrice

Philippe Aghion prolonge cet héritage dans une autre dimension : celle de l’innovation.

Là où Turgot plaçait la rigueur comme condition de la liberté et Rueff la monnaie comme clef de voûte de la prospérité, Aghion introduit la discipline de la créativité.

S’inspirant de Schumpeter, il formalise la destruction créatrice : le progrès ne vient pas d’un État dépensier, mais d’un cadre stable où les entreprises peuvent innover, échouer et recommencer.

Comme ses prédécesseurs, Aghion n’oppose pas l’innovation à la rigueur : il les relie.

Sans institutions solides, sans éducation de qualité, sans incitations à l’effort et à l’investissement, il n’y a pas de progrès durable.

En ce sens, il prolonge l’esprit de Turgot et de Rueff : libérer les énergies tout en maintenant la discipline des règles.

Il rejoint Daniel dans l’importance de la connaissance et de l’éducation.

Conclusion

De Turgot à Rueff, de Daniel à Aghion, quatre voix, quatre siècles, une leçon : la discipline — qu’elle soit budgétaire, monétaire ou intellectuelle — n’est pas une option, c’est une condition politique.

Le désordre économique prépare toujours le désordre social et, par conséquent, mène à la servitude, tandis que la rigueur ouvre la voie à la liberté.

La pensée de Turgot a perduré parce qu’elle part du réel et refuse les mirages.

Sa postérité demeure parce que la réussite ne consiste pas à hypothéquer l’avenir, mais à lui donner toutes les chances d’exister sans servitude.

Relire Turgot, Rueff, Daniel et Aghion, ce n’est pas céder à la nostalgie, c’est retrouver, sous les débats du jour, les clés de la réussite pour notre économie.

Références

  • Anne Robert Jacques Turgot, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766).
  • Jacques Rueff, L’Ordre social (1945) ; Le lancinant problème des balances des paiements (1965) ; Le chômage et la monnaie (1931).
  • Jean-Marc Daniel, Le capitalisme et ses ennemis (2016) ; L’État de connivence (2014) ; Histoire vivante de la pensée économique (2018).
  • Philippe Aghion, Le pouvoir de la destruction créatrice (avec Céline Antonin et Simon Bunel, 2020) ; Repenser la croissance (avec Peter Howitt, 2008).
  • Joseph Schumpeter, Capitalism, Socialism and Democracy (1942) — référence théorique de la destruction créatrice reprise par Aghion.

Benoit Frayer Novembre 2025

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