Le livre de Félix Torres et de Michel Hau s’inscrit dans un vaste courant consacré au déclin de la France, marqué notamment par les ouvrages de Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, Changer de modèle (2015), de Marcel Gauchet, François Azouvi et Eric Connan, Comprendre le malheur français (2017), de Jean-Marc Daniel, Le gâchis français ((2017), d’Hervé le Bras, Se sentir mal dans une France qui va bien, (2019), de Larosière, 40 ans d’égarements économiques (2021), de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Pour une finir avec le déclin (2022)…
Mais Le décrochage français se distingue par son approche à la fois historique et phénoménologique des politiques économiques et sociales menées par les gouvernements français sur la période de 1983 (marquée par l’abandon du Programme commun) à 2017 (le début du 1er mandat d’Emmanuel Macron). Les auteurs analysent en profondeur les effets positifs et négatifs des nombreux plans, programmes et mesures qui ont été engagés, parfois à contre emploi, souvent dans l’urgence et rarement à leurs termes. Ils s’efforcent d’éviter le biais de confirmation de leur vision pessimiste de la politique française, en illustrant leurs démonstrations par les rappels des narratifs des différentes parties concernées. Ainsi dans le cas de l’instauration de la semaine de 35 heures, ils rappellent les nombreux rapports à charge et à décharge que cette réforme controversée a suscités, pour enfin conclure : « les 35 heures ont eu comme premier tort d’affaiblir la compétitivité du pays, comme deuxième d’installer l’idée que le travail est une quantité finie qu’il faut partager, et comme troisième, qu’au fond, la vraie vie est ailleurs, dans les loisirs… »
L’ouvrage contribue à former les jeunes lecteurs à l’économie industrielle et financière ainsi qu’à faire revivre aux moins jeunes les faits les plus marquants de leurs vécus. Les uns comme les autres s’interrogeront sur les facteurs qui conduisent à ce que « la France soit en grève d’elle même » : l’illusion de la supériorité du « modèle social français », le rejet des bureaucraties française et/ou européenne, la défiance envers le libéralisme, les cultes du keynésianisme et de l’impôt, l’incapacité à s‘inspirer des expériences réussies des « pays phénix » comme l’Allemagne, les Pays Bas, la Suède ou l’Italie. Les lecteurs ne pourront que constater que l’État français est confronté au mythe de Sisythe, devant sans cesse lutter contre les déséquilibres économiques et les désordres sociaux, et qu’il réalise la vision prémonitoire d’Alexis de Tocqueville (1856) selon laquelle « une nation fatiguée de longs débats consent volontiers qu’on la dupe, pourvu qu’on la repose (…) ces entreprises échouent toujours et ne font qu’enflammer le peuple sans le contenter ».
Le texte est enrichi par un volumineux appareillage composé de tableaux, graphiques, notes et index .
Les auteurs sont respectivement professeur émérite à l’université de Strasbourg et chercheur HDR à Sorbonne université.
Chronique rédigée par J-J. Pluchart