Il est difficile de chroniquer ce livre, tant il est riche, dense et profond . Je m’efforcerai, cependant, de résumer les idées phares de cet ouvrage. L’idée de base est que les modèles de gouvernance et de gestion des ressources pilotés par des managers rompus à des rituels exclusivement financiers et strictement séquencés tels les liasses de quarterly reports (reportings trimestriels) vers la maison mère conduisent à des prises de décision inadaptées aux besoins de nos sociétés. Le vice fondamental des modèles économiques classiques est qu’ils se fixent comme seul objectif, la valorisation financière d’un patrimoine. Tous les domaines de la vie économique est sociale donnent lieu à des mesures débouchant sur des exercices de valorisation financière, souvent illusoires. L’on cherche à valoriser des entreprises, des fonds de commerce, des données, des équipes de recherche etc Il s’agit, en fait, de financiariser tous les actes de la vie économique, sous la forme de stocks de capital fluctuant au fur et à mesure des besoins, le capital créé étant l’instrument de mesure de la performance. La méthode employée est la classique actualisation de cash flows futurs, méthode hautement sensible à l’instabilité des taux d’escompte ainsi qu’à l’impossibilité fréquente de prévoir des flux de trésorerie au-delà de 2 ou 3 années, tant les marchés changent.
Une autre critique de cette « tyrannie » de capitalisation de nos sociétés a trait à la financiarisation du « capital » humain ; Dans la théorie économique néo-classique, un homme doit être capitalisé en termes de suites de cash flows actualisés ce qui est, à la fois contestable sur le plan éthique et constitue un frein au développement à long terme qui implique des prises de risques d’exploitation, l’apport d’ intuitions, le support d’organismes publics pour financer la recherche fondamentale et la construction d’infrastructures servant le « bien commun » Souvent, les exercices de sélection d’investissements sur la base de prévisions financières à 6-8 ans sont trompeurs et débouchent sur la prolétarisation de nos sociétés, sur une insatisfaction des citoyens et sur la destruction de pans entiers de nos industries. Ainsi l’auteur prend l’exemple des calculs de ROI sur longue période ; les calculs sont souvent vides de sens et ne devraient pas servir de référence pour la prise de décision, en raison de l’opacité des prévisions à long terme . Une autre faiblesse majeure des modèles économiques classiques est l’insuffisante prise en compte de ce que l’auteur désigne sous le terme de « communs », c’est-à-dire d’infrastructures et de services collectifs, insérés dans un plan d’ensemble de développement sociétal, prenant mieux en compte les aspects humains en complément d’une approche purement financière qui peut être stérile voie mesquine, si elle n’est pas complétée par une vision prospective de l’évolution des besoins. En outre, les « économies externes » générées par les investissements communs peuvent êtres considérables, par exemple pour les investissements dans les domaine de la santé. Cet ouvrage est très riche et mérite une lecture attentive.
Chronique rédigée par Denis Molho