Eds Albin Michel, 2O24,176 pages
Le livre de Daniel Cohen, disparu en août 2023, ne peut laisser indifférent, car il délivre le dernier message d’un des plus grands économistes français, ancien directeur de l’Ecole d’Economie de Paris. Esther Duflo, prix Nobel d’économie et professeure au Collège de France, qualifie l’ouvrage de « tableau magistral de l’économie, de la politique, des relations internationales en quelques coups de pinceau ». L’histoire dressée par l’auteur remonte aux chasseurs-cueilleurs de la préhistoire et aux laboureurs-éleveurs du Moyen âge, puis à l’émergence de la révolution industrielle et à la naissance de l’homo economicus, qui baigne dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Il explique après Karl Marx comment « le marché est devenu le tombeau des classes laborieuses ». Il analyse le phénomène de régénération keynésienne du capitalisme après la grande dépression puis l’après-guerre.
Daniel Cohen critique les processus de financiarisation et de globalisation de l’économie à partir des années 1980, qui a entraîné les montées des inégalités et de l’instabilité politique dans les pays occidentaux. Il déplore « la tyrannie de la productivité » entraînée par le culte de la croissance économique et l’avènement de « l’homo numerisus », dont il redoute les effets à long terme de l’addiction des jeunes à internet, aux smartphones et aux réseaux sociaux. Il craint l’impuissance des Etats à maîtriser le réchauffement climatique. Il pense que le ralentissement de la croissance mondiale ne créent des frustrations parmi les classes moyennes et engendre différentes formes de populisme.
Manifeste-t-il un excès de pessimisme ou fait-il preuve de réalisme ? Lui-même s’interroge en conclusion de son livre : « il faut ressentir non pas seulement de la tristesse face au monde qui se délite mais de la joie pour celui qui est possible ».
Chronique rédigée par Jean-Jacques Pluchart