Le nouvel ouvrage de Michel Aglietta, rédigé avec Etienne Espagne, nous livre les réflexions d’un économiste et d’un climatologue prestigieux sur la transition écologique. Leur projet est particulièrement ambitieux car ils se livrent à un exercice « d’écologie politique globale » impliquant des approches à la fois technologique, économique et institutionnelle, mais aussi historique et géopolitique, de « la viabilité écologique des grands systèmes socio-économiques ». Ils sondent ainsi les « fondements anthropologiques de la dette écologique », en analysant les contraintes des cycles du carbone, de l’azote, de l’eau…, et en s’interrogeant notamment sur la meilleure façon de décarboner le mix énergétique. Ils constatent qu’à des degrés divers, tous les systèmes productifs et sociaux de l’histoire de l’humanité ont contribué à dégrader l’environnement de la planète et ont été confrontés à des « crises de régulation ».
Les auteurs parlent de « tragédie des communs » face à l’avènement de l’économie de marché comme « solution ultime du problème environnemental ». Ils critiquent la logique « d’appropriation gratuite de la nature » qui sous-tend le « capitalisme fossile basé sur les étalons charbon et pétrole ». Ils observent la dynamique historique de l’accumulation du capital et doutent de la viabilité écologique du « capitalocène » ou système économique et organisation sociale basés sur les diverses formes de capitalisme néolibéral. Ils revisitent la « civilisation écologique chinoise », le « green new deal » et l’Inflation Reduction Act (IRA) américains, le green new deal et la réaction européenne à l’IRA. Ils jugent les chaînes de production actuelles trop étirées et préconisent une « réindustrialisation ciblée et verte » des territoires. Ils évaluent les effets négatifs de la fragmentation géopolitique actuelle, aggravée par les dernières crises et la guerre en Ukraine.
Les auteurs soulèvent surtout le problème de l’inadaptation des systèmes monétaire et financier actuels, hérités du consensus de Washington, au financement des transitions énergétique et écologique. Ils qualifient de « tragédie des horizons » le hiatus fondamental entre le court-termisme des marchés financiers et le long-termisme de l’économie publique. Ils prônent une planification écologique impliquant à la fois plus de coopération internationale, avec une restauration du FMI comme prêteur en dernier ressort et un développement des systèmes de paiement et de crédit basés à la fois sur des DTS, ainsi que le développement des monnaies locales et digitales, dédiées notamment au financement de « projets verts ». Ils érigent la Caisse française des Dépôts et Consignations en modèle de financeur et les Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) en modèle de gouvernance des entreprises productives.
L’ouvrage est à la fois très conceptualisé et documenté. Sa lecture exigeante ouvre de nouvelles perspectives sur une des grandes problématiques contemporaines.
Michel Aglietta est professeur émérite de l’Université Paris Nanterre (voir hommage sur clubturgot.com), et Étienne Espagne est économiste du climat à la Banque Mondiale.
Chronique rédigées par J-J. PLUCHART