Séminaire organisé par l’Association Europe-Finances-Régulations (29 janvier 2025)
A la veille du sommet consacré à l’IA, l’AEFR a organisé un séminaire visant à répondre aux questions posées sur le « potentiel transformateur » de l’IA dans les services financiers : comment peut-elle modifier les pratiques en matière de relations avec les clients (KYC), de cyber-sécurité et de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent.
L’IA et la compétitivité de la France
Philippe Aghion (professeur au Collège de France) a rédigé en 2024 un rapport intitulé « Notre ambition pour la France », dont les conclusions sont « raisonnablement optimistes » pour notre pays. Les IA symboliques, numériques et génératives, ainsi que les LLM, contribuent dans l’ensemble à améliorer l’efficience des processus productifs, rendant les entreprises plus compétitives, rentables et créatrices d’emplois. Des études récentes montrent que l’IA contribue à accélérer l’innovation et à intensifier les dépôts de brevets. Si elle est bien régulée, l’apport de l’IA sur la croissance française serait d’environ 1% par an pendant une dizaine d’années, avant de retomber en raison de l’obsolescence des systèmes et de la concentration des entreprises. Toutefois les retombées sur l’emploi seraient très inégales selon les secteurs d’activité, les entreprises, les types d’emploi et même les postes de travail. Seulement 10% des emplois seraient complètement ou partiellement menacés dans les pays occidentaux . Les dernières cartographies des risques sur l’emploi montrent l’importance d’un développement des recherches sur les processus productifs et notamment, sur leur flexibilité.
L’IA et la fraude boursière
Corentin Masson (ingénieur en chef IA à l’AMF) souligne l’intérêt de l’IA dans les enquêtes menées par l’AMF sur les pratiques des sociétés cotées, notamment en matière de compliance de durabilité, de lutte contre la fraude (délit d’initiés, manipulation de cours, abus de marchés…). L’objectif de l’AMF est de sécuriser les transactions financières, ce qui implique notamment de contrôler les bases de données (alignées sur la taxonomie européenne). Il recommande de publier des rapports extra-financiers sous des formats HTML avec des balises XBRL, afin de favoriser les comparaisons inter-entreprises et secteurs d’activité, et de fixer des standards exploitables.
L’IA et la lutte contre le blanchiment
Fabrice Desprez (CEO de Discal, filiale de KBC groupe) estime à près de 4000 milliards de dollars le blanchiment de capitaux dans le monde, avec seulement 2 milliards détectés et 200 millions récupérés. Chez KBC, l’exposition au risque de laundering est évalué en fonction de 150 critères . Environ 10 % des clients présentent des risques, qui sont détectés en fonction de la particularité de la transaction et du score du client. Il considère que le développement des kryptos engendre un risque supplémentaire de blanchiment, et que le règlement (UE) 2023/1114 (dit MICA) qui établit des règles uniformes pour les émetteurs de crypto-actifs, est insuffisant. Il regrette également le manque d’échanges entre les banques sur ce sujet. Il dénonce également l’excès de réglementation pesant sur les activités bancaires.
L’IA et la fraude bancaire
Mathilde Clauser (directrice chez Revolut) présente les services offerts par sa banque (50 millions de clients), dont l’objectif prioritaire est d’assurer la sécurité des opérations de ses clients business et retail. Elle distingue la fraude non autorisée et la « fraude autorisée ». Cette dernière couvre notamment les extorsions de fonds par usurpation d’identité (visuelle et/ou sonore) grâce aux réseaux sociaux (notamment META et X). Elle montre, par des cas d’usage, les apports de l’IA dans la détection de ces fraudes. Elle estime qu’ainsi plus de 90% des fraudes sont détectées grâce à l’IA chez Revolut.
L’IA et la compliance
Frédéric Boulier (directeur compliance chez Oracle) présente les derniers développements de l’IA en matière de gestion de la conformité. Il révèle que près de 250 milliards d’€ sont dépensés chaque année par les banques pour lutter contre l’insécurité financière et vérifier la conformité du reporting de durabilité. Il admet que l’apprentissage non supervisé par l’IA générative est créateur de valeur car il permet d’améliorer le KYC et le nombre de superviseurs (ou data scientists) chargés de contrôler et de mieux exploiter le reporting extra-financier des grandes entreprises, et bientôt, des ETI et des PME, ainsi que de corriger les biais observés dans les logiciels permettant d’exploiter les données des rapports.
L’IA et la notation financière
Vincent Gusdorf (managing director chez Moody’s) analyse l’apport de l’IA dans le processus de notation financière des sociétés cotées (1). Il soutient que les logiciels de dernière génération (comme GPT 4o et Deepseek) disposent d’une « capacité de raisonnement » qui contribue à accélérer leur efficience en matière de détection des défauts d’information des émetteurs de titres financiers. Malgré ces avancées, il estime toutefois que les risques des placements sont encore insuffisamment mesurés par les agences de notation.
Compte rendu rédigé par J-J.Pluchart
- lire le chapitre de J-J. Pluchart, « Vers une notation ESG des émetteurs de titres de crédit », in C.de Bossiseu et D Chesneau, Réussir le transition énergétique et écologique, Eds Eska, 2024.