Les dangers de la titrisation

Le rapport Draghi propose de relancer la « titrisation » pour augmenter la capacité de financement du secteur bancaire européen en arguant de son retard croissant de mobilisation de fonds à investir au regard du marché américain.

De quoi s’agit-il ?

La titrisation est la vente par les intermédiaires financiers d’une partie des créances de prêts qu’ils ont consentis à des investisseurs qui cherchent un placement. D’un côté ces intermédiaires retrouvent de la liquidité et renouvellent ainsi leur capacité de financement et de l’autre les investisseurs, nouveaux propriétaires de ces créances, reçoivent les intérêts et le capital en cours de remboursement.

La titrisation est habituellement utilisée par les institutions de crédit immobilier ne bénéficiant pas de comptes de dépôts et qui trouvent ainsi le moyen de se pourvoir en liquidité auprès d’investisseurs spécialisés.

Cette technique financière encouragée par les autorités auprès des banques a toute l’apparence de l’efficacité et semble respecter le souci vertueux de maintenir leur niveau nécessaire de fonds propres pour financer l’économie ; elle cache pourtant de graves dangers. Car la plupart des titrisations sont désormais « structurées ».

 –Les produits financiers structurés

Les banques cèdent ainsi certaines de leurs créances à des fonds d’investissements, généralement filiales, afin de créer des produits financiers de placement. L’arrangement de ces produits consiste à amalgamer des créances de provenances diverses, émanant de secteurs d’activité plus ou moins définis, et dont le risque de solvabilité est variable.

Cet amalgame de créances de qualité différente permet d’augmenter la rentabilité du produit de placement, en y intégrant des créances à risques par définition moins bien notées et à un taux d’intérêt plus élevé. Outre la commission d’arrangement qu’elles perçoivent en contrepartie, les banques, sont ainsi incitées à se débarrasser de leurs créances les plus fragiles.

De la sorte apparaissent les CLO : (collateralized loan obligation) amalgames d’obligations d’entreprises moyennes plus ou moins vulnérables; les RMBS (residencial mortgage backed sécurities) amalgames de prêts hypothécaires dépendants dans les pays anglo-saxons de la valeur du bien immobilier , les CMBS (commercial mortgage backed securities) amalgame de prêts hypothécaires commerciaux liés à l’activité commerciale générale ou encore les ABS (asset backed sécurities) qui relèvent des crédits à la consommation ou des crédits-bails à l’automobile.

Au total, non seulement les produits titrisés « structurés » sont dépendants de secteurs d’activité incertains et volatils, mais leur rentabilité est assise pour partie sur des créances risquées . De plus la diffusion de ces produits à l’ensemble des investisseurs mondiaux est favorisée par la concentration et l’interdépendance des marchés financiers. Bien entendu le risque d’un défaut et donc de faillite d’un produit structuré, largement diffusé, concernera l’ensemble des investisseurs et sur toutes les places mondiales.

-Le cycle infernal prévisible

Les Investisseurs sur ces produits, bénéficiaires du rendement supplémentaire dû à l’intégration de créances risquées seront alors conduits à se garantir en achetant parallèlement un produit d’assurance appelé CDS ( Crédit Default Swap ) auprès des établissements financiers émetteurs d’assurances.

Tous les ingrédients qui ont provoqué la crise financière de 2007-2009 sont ainsi réunis . Si les subprimes , objets de manipulations douteuses ont disparu des créances titrisables , les créances fragiles et incertaines persistent et continuent d’être disséminées dans l’ensemble des produits structurés que nous venons de citer. Et quelque soit la part de ces créances fragiles à taux d’intérêt surélevés, dans chacun de ces produits, il suffit que l’une ou quelques unes d’entre elles, fasse défaut pour contaminer le produit lui-même, car ici, par construction, l’amalgame des créances interdit d’en isoler les composantes. Les investisseurs détenteurs d’un produit structuré atteint dont le rendement est réduit voire est failli, tenteront immédiatement de le revendre et entreront alors dans un cycle de dévalorisation d’actifs et tous, chacun leur tour, y seront contraints jusqu’à l’entame puis la perte de leur capital propre.

Compte tenu de l’ampleur des échanges , il ne faudra pas compter sur un quelconque émetteur de CDS pour éponger un défaut concernant tous ces investisseurs : AIG , principal groupe d’assurance américain et principal émetteur de CDS lors de la crise financière de 2007-2009 a failli y laisser sa peau et a été sauvé in extremis par la Réserve Fédérale des États Unis qui lui a accordé un prêt à hauteur de 80% de son capital.

Malgré l’histoire pourtant récente de la dernière grande crise financière mondiale, on voit aujourd’hui se développer, à nouveau, ces produits dangereux à la seule fin d’appâter les investisseurs au détriment de la conscience du risque qu’ils peuvent encourir . Et autrement plus grave, ces produits ne peuvent que porter préjudice au bon fonctionnement des marchés financiers eux-mêmes.

La crise financière pourrait alors s’étendre rapidement à l’économie mondiale et laisser ainsi la place à une nouvelle récession.

A cela s’ajoute la pression faite par le lobby des banques privées américaines sur les autorités de régulation pour mettre en cause ou tout du moins pour réduire le poids des tests de résistance . Ces tests qui mesurent la bonne tenue des fonds propres et des liquidités détenus par les banques pour faire face aux crises, sont exigés depuis la crise financière de 2007-2009 et sont destinés à éviter le recours aux contribuables pour renflouer leurs banques. Le mandat du nouveau président des États Unis, apôtre de la dérégulation, ne laisse rien présager de bon pour la suite sinon un arbitrage en défaveur des autorités monétaires et financières et le recours à un laisser faire aveugle.

Il est vraisemblable que les prémisses d’une nouvelle crise financière soient en préparation et au vu du montant de la valeur des transactions portées par les marchés financiers mondiaux cette crise serait plus grave que la précédente.

-La myopie du désastre

Un concept récent utilisé par la microéconomie comportementale, celui de la myopie du désastre ( Guttentag / Harrington 1986 ), nous semble particulièrement approprié à la situation. Ce concept formalise le comportement des dirigeants d’entreprises qui mesurent l’occurrence d’un risque ou d’un choc économique en fonction de la mémoire qu’ils en ont. Cette mémoire est dépendante de la durée du temps écoulé depuis la dernière survenue de ce risque ou de ce choc.

Lorsque la probabilité de survenue est considérée comme quasi nulle, car trop éloignée dans le temps ou encore considérée d’une périodicité aléatoire, alors on peut parler de myopie du désastre.

Cette attitude empêche la compréhension et l’analyse des signes précurseurs des difficultés à venir et conduit à les accentuer par des décisions aggravantes car oublieuses des leçons tirées des événements précédents.

Nous pouvons dire que nous y sommes ….mais cette fois , malheureusement, la « myopie du désastre » s’applique à l’échelle des autorités économiques et financières mondiales.

JP Rosello

Économiste , auteur de « Marchés financiers, capital financier et crises systémiques » Éditions L’Harmattan 2024

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