L’ouvrage est d’abord une dénonciation des erreurs commises par les gouvernants français et européens en matière énergétique, mais est également une dissertation sur les avantages et les inconvénients comparés du service public et de l’économie de marché, ainsi qu’une étude de cas sur la difficulté de réguler un marché ouvert et complexe : comment concilier les multiples contraintes de la production et de la distribution de l’électricité et celles de sa consommation par les entreprises et les ménages , dans un environnement exposé à des crises sanitaire, économique et géopolitique, à des risques industriels et à des pressions électorales ?
Henri Proglio retrace la saga du groupe EDF longtemps considéré comme étant le premier « champion national » fondé en 1946, le « fleuron de l’industrie française » et le « modèle du service public ». Il érige en exemple le programme nucléaire lancé en 1974 par une équipe exceptionnelle d’ingénieurs et d’économistes. C’est pourquoi en sa qualité d’ancien PDG du groupe, il déplore que plusieurs décisions plus politiques qu’économiques, aient conduit à son démantèlement en sociétés indépendantes (notamment ERT pour la logistique et les énergies alternatives et Framatome pour l’ingénierie des centrales nucléaires), puis à sa « débâcle » économique et financière en 2022. Il compare cette débâcle à « l’étrange défaite de 1940 » décrite par Marc Bloch. Il dénonce surtout la « renationalisation » d’EDF en 2023 avec un rachat des actions à un prix de 12€, seulement 8 années après leur introduction en bourse à un cours de 32 €. Cette opération, comparée à la « banqueroute des deux tiers » survenue en 1797, a été justifiée par l’obligation pour l’Etat français de supporter les pertes d’EDF à la suite de l’ouverture à la concurrence européenne de 25% de sa production (en application de la loi Nome) et de l’arrêt de la moitié de son parc de centrales pour assurer leur maintenance. L’auteur regrette également les déconvenues de l’Allemagne qui, sous la pression des écologistes, a renoncé à ses centrales nucléaires, a opté pour la filière du gaz russe puis du GNL américain et à dû relancer ses centrales au charbon.
Henri Proglio conclut en relatant ses échanges, parfois baroques, avec ses ministres de tutelle, et il en déduit qu’une politique énergétique souveraine implique une cohérence à long terme.
Henri Proglio a été successivement président de Veolia puis d’EDF (2009 à 2014).
Chronique rédigée par J-J.Pluchart