Mais que viennent donc faire ces étranges « objets » numériques, les NFTs (Non Fungible Tokens ou jetons non fongibles) sur le marché de l’art ? Pourquoi associer un ensemble de données encastrées dans une blockchain au parcours nommé « Histoires de Pierres » d’une exposition de la Villa Médicis, écrin on ne peut plus tangible ? Cinq spécialistes sont convoqués dans cet ouvrage pour nous éclairer sur cette niche financière qui est à l’intersection du marché de l’art et de la révolution numérique. Une particularité de ce mouvement est la rapidité avec laquelle il s’est développé depuis 2017, probablement du fait de sa nature numérique. On peut cependant s’interroger sur les motivations des collectionneurs lorsque l’on sait au travers d’une étude récente que 95% des acheteurs ayant dépensé 25 000 dollars en NFT ont indiqué que la première raison de leur achat « était le retour sur investissement ». Pari dangereux s’il porte sur l’adhésion d’autrui en se rapprochant de pratiques spéculatives de type Ponzi qui comme le dit Bill Gates reposent sur « la théorie du plus gros imbécile ».
En l’absence de régulation, on peut assister à des manipulations pump-and-dump (gonfler et larguer), lorsque plusieurs intervenants achètent un NFT afin d’en accroître fictivement la demande (phénomène déjà bien connu sur le marché de l’art contemporain). Le fait que la seule vraie possession de l’acheteur soit un certificat numérique, un code, n’expliquerait-il pas l’effondrement de plus de 95% de NFT constatés par dappGambl, site spécialisé en cryptomonnaies. Pour finir, s’agissant des jumeaux numériques de très haute qualité, quel est l’intérêt d’un jeton NFT signé par le directeur de la galerie des Offices de Florence pour une centaine de milliers de dollars, alors que cette même œuvre peut être téléchargée gratuitement ? Au moins, il n’y aura pas de risque lié à la propriété intellectuelle…
Françoise Benhamou est la Présidente du Cercle des économistes. Elle est Professeure émérite d’Économie à l’Université Sorbonne Paris Nord, enseigne à Sciences po Paris et préside le Comité d’Éthique de Radio France et elle est Vice-Présidente du Comité consultatif des programmes de la chaîne ARTE. Nathalie Heinrich est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) après avoir soutenu une thèse sous la direction de Pierre Bourdieu.
Alain. BRUNET