DRIF Noam Thomas, Le primat du marché sur la puissance, Eds L’Harmattan, 2024, 217 pages.

La lecture de l’ouvrage de N-T. DRIF (agrégatif d’histoire) permet de mieux comprendre les affrontements et les atermoiements de la politique européenne de la concurrence, et ainsi d’expliquer pourquoi l’Union européenne – et plus particulièrement la France – se sont désindustrialisés depuis trois décennies, après vingt années de nationalisme industriel et « d’eurosclérose ». Les observations de l’auteur couvrent principalement la période de 1985 à 1995, qui a été notamment marquée par la présidence française de la Commission européenne (assurée par Jacques Delors), et  les publications du Livre Blanc (1985), de l’Acte unique (1986), la libération du marché des capitaux (1988)  et du traité de Maastricht (1992). L’auteur se pose la question radicale:  « quels acteurs, en optant pour une politique fondée sur la défense du consommateur, sur le droit et sur le libre-échange, ont contribué à fermer l’Europe à toute ambition de puissance industrielle ? ». L’arbitrage entre les approches concurrentielle et industrielle a donné lieu à des débats interminables  entre les néo-libéraux libre-échangistes, représentés par les anglais, les ordo-libéraux régulateurs, animés par les allemands, et les néo-colbertistes dirigistes, défendus initialement par les français héritiers du gaullisme. Les gouvernements des nations européennes, les organisations internationales (comme le GATT puis l’OMC), les lobbies des associations socio-professionnelles (comme la Table ronde des industriels européens), et les grands cabinets de conseil (comme Goldman Sachs) ont constamment interféré dans ces débats. Les différentes approches ont révélé des visions opposées, respectivement « régulatrices » et « souverainistes » de la CEE puis de l’UE. Jacques Delors s’est efforcé de concilier ces positions plus ou moins contradictoires défendues par les Commissaires européens eux mêmes, en adoptant avec difficulté une ligne « ordo-libérale à la française », à la fois libre-échangiste et interventionniste en cas de création de monopoles, d’aides publiques faussant la concurrence et d’ingérences étrangères excessives, notamment américaines. Cette position pragmatique est toujours en vigueur.

L’auteur analyse les principales décisions prises par la Commission et les arrêts rendus par la Cour de justice, puis il décline les succès (notamment dans les secteurs aéronautique et spatial) et les échecs (dans la sidérurgie, l’électronique, l’informatique, l’intelligence artificielle, la banque…). Il observe que les rapprochements ente les groupes ont été essentiellement bilatéraux  et ont plus impliqué des extra-européens.  Il note que la question de l’Europe- marché ou de l’Europe –puissance » est toujours d’actualité, face aux ambitions américaine et chinoise.

L’auteur puise directement ses sources au sein des archives de la Commission et du Ministère français des affaires étrangères, ainsi que des nombreuses publications et communications sur le sujet.

Chronique rédigée par J-J. PLUCHART

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