Alessandro STANZIANI, Les Guerres du blé, Une éco-histoire écologique et géopolitique, Ed. La découverte, 340 pages

Pourquoi le blé est-il un dénominateur commun à de nombreux évènements, à priori disparate, comme la guerre en Ukraine, le Printemps arabe, la hausse des prix des denrées ou encore les tensions entre globalisation et souveraineté alimentaire ?

L’auteur développe le rôle essentiel du blé – au fil de l’histoire du milieu du 17ème siècle à nos jours – et plus particulièrement les raisons de son rôle économique, militaire et politique. Au-delà des idées classiques, comme la loi de l’offre et la demande ou « les progrès » en agriculture, il va rechercher les « attitudes » qui ont déterminé son positionnement de référent majeur.

Ainsi de 1650 à 1750, le blé, en appui au recrutement (guerre), à la fiscalité (impôts) et à la territorialité (pouvoir) est un élément clé de la naissance des états modernes en Chine, en Russie, en Grande Bretagne et en France.

Au cours du 18ème siècle, des évolutions différenciées apparaissent, impactées par la croissance démographique, l’expansion des terres cultivables, l’organisation de la production et ses liens avec le travail, les marchés et les structures sociales, la consommation et les politiques publiques. La Chine s’effondre, la Russie résiste, la Grande Bretagne se donne un nouvel élan et la France « se prépare » à la révolution de 1789 (crise financière qui affecte au final l’accès au blé).

Le 19ème siècle connait une augmentation importante de la production du blé par une extension des terres en Eurasie, aux Amériques, en Australie et en Afrique qui favorise surtout la Grande Bretagne, la Russie. Le travail, plus que la technique naissante mais onéreuse, demeure un facteur essentiel. Les usages évoluent (pâtes), le commerce est en mutation (bourses, marchés à terme et régulation). Des famines répétées touchent l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine.

Au 20ème siècle, le « blé nerf de la Grande Guerre » sera déterminant sur l’issue de celle-ci (approvisionnement et blocus selon les parties) mais l’agriculture est en ruine. La Russie est impactée par une répression (dékoulakisation et famine) de la résistance paysanne. L’Empire Ottoman s’effondre. Une « bataille du blé » portée par Mussolini est engagée en Italie pour atteindre la suffisance alimentaire. La reconstruction en Europe, appuyée par les USA, passe par des politiques ciblées d’aide humanitaire. Dans tous les cas, le contrôle du blé est essentiel et intègre souvent le recours à la colonisation.

La seconde guerre mondiale suivi de la guerre froide et du processus de décolonisation révèle toujours la place des céréales : armes de pénurie et/ou de production, évolutions techniques, essor du commerce international du blé, régulation et structuration, famines et aides alimentaires, impacts environnementaux et aussi l’enjeu des semences vont marquer profondément cette période. 

Des années 1970 à ce jour, de nouvelles guerres du blé apparaissent et soulèvent de nombreuses questions pour le futur : citons la démographie, la croissance verte, des rendements à la baisse, la place des biocarburants, la place des céréales par rapport à la viande, l’évolution des semences hybrides et OGM, le commerce et le risque spéculatif, les inégalités Nord-Sud, la maitrise du support foncier (accès à la terre et à l’eau). L’enjeu « nourrir l’humanité » est posé.

Ce fil rouge de l’ouvrage est nécessairement réducteur de cette analyse historique d’une très grande richesse. Elle éclaire le lecteur au-delà des idées reçues ou méconnues et le cas échéant les enrichissent.   

Et au final, singulièrement, ce livre éco-historique, foisonnant d’informations tout en étant agréable à lire, ouvre peut-être la possibilité d’identifier différents futurs possibles : à l’heure de tensions géopolitiques majeures, de questions essentielles autour du climat, de la souveraineté alimentaire, de la globalisation.

Alessandro Stanziani est directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS (Centre des Recherches Historiques). Spécialiste d’histoire économique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Les Métamorphoses du travail contraint en 2020) et Capital Terre. Une histoire longue du monde d’après (XIIe-XXIe siècle) en 2021.

Chronique rédigée par Loïc LE MENN

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