Une doctrine fondée sur la rigueur et la responsabilité
La pensée économique de Jacques Rueff repose sur trois piliers fondamentaux :
-La rigueur budgétaire : Rueff considérait les déficits publics comme un poison économique, moral et politique. Pour lui, l’endettement excessif menaçait la souveraineté des nations, car un État dépendant des marchés financiers perd sa capacité à agir librement. Il prônait donc un équilibre strict entre les dépenses et les recettes publiques, convaincu qu’une gestion financière saine est le socle de la prospérité à long terme.
-La stabilité monétaire : Grand défenseur de l’étalon-or, Jacques Rueff voyait dans ce système un ancrage naturel contre l’inflation et les manipulations monétaires. Il critiquait violemment le système de Bretton Woods, basé sur un dollar non convertible en or, qu’il accusait d’alimenter les déséquilibres mondiaux. Selon lui, seule une monnaie stable et ancrée dans un actif tangible pouvait garantir la confiance des citoyens et des investisseurs.
-La discipline économique : Rueff croyait profondément en l’importance des signaux de marché. Pour lui, l’intervention de l’État dans l’économie, qu’il s’agisse de subventions ou de politiques monétaires expansionnistes, faussait ces signaux et conduisait à des inefficacités durables. Il voyait dans les mécanismes du marché un régulateur naturel des déséquilibres économiques.
Un acteur clé des réformes économiques françaises
Jacques Rueff n’était pas qu’un théoricien : il a également œuvré au redressement économique de la France. Sa contribution la plus marquante reste le plan Rueff-Pinay de 1958, qui a joué un rôle crucial dans la stabilisation du franc et le redressement des finances publiques françaises. Face à une économie en crise, Rueff a recommandé des mesures drastiques : réduction des déficits publics, suppression des subventions inutiles, libéralisation des échanges et réforme du système fiscal. Ce plan a permis de restaurer la confiance des investisseurs et de relancer la croissance, tout en posant les bases de l’intégration économique européenne. En outre, Rueff a été un ardent défenseur de la construction européenne, qu’il voyait comme une réponse aux fragilités des États-nations. Bien qu’il aurait sans doute critiqué certains aspects de l’euro, notamment l’absence de coordination budgétaire entre les États membres, il aurait salué l’ambition de bâtir une monnaie forte et stable à l’échelle continentale.
Les enseignements de Jacques Rueff pour la France aujourd’hui
Les idées de Jacques Rueff résonnent fortement avec la situation économique actuelle de la France. Alors que la dette publique dépasse 3 000 milliards d’euros et que les déficits structurels s’accumulent, ses mises en garde sur les dangers de l’endettement excessif semblent prophétiques. Rueff aurait sans doute critiqué le manque de discipline budgétaire, qu’il considérait comme une menace pour la souveraineté nationale.De même, son attachement à la stabilité monétaire trouve un écho dans le contexte actuel d’inflation. Rueff voyait dans l’inflation une forme d’injustice sociale, frappant d’abord les plus modestes. En ce sens, il aurait dénoncé les politiques monétaires ultra-accommodantes des dernières années, qui ont alimenté l’inflation tout en creusant les inégalités.
Cependant, Rueff aurait probablement vu des obstacles majeurs à l’application stricte de ses idées dans la France d’aujourd’hui :
-Une économie profondément intégrée : La mondialisation a rendu les économies nationales plus interdépendantes. Une stratégie rigoureuse mais purement nationale, comme celle que prônait Rueff, serait difficile à appliquer sans coordination internationale.
-Des attentes sociales accrues : Les dépenses publiques, notamment en matière de santé et de retraites, répondent à des attentes sociales fortes. Réduire drastiquement ces dépenses pour atteindre l’équilibre budgétaire risquerait de provoquer des tensions sociales majeures.
-Des défis nouveaux : La transition écologique et l’innovation technologique nécessitent des investissements massifs, que Rueff aurait probablement jugés essentiels. Mais il aurait également insisté sur la nécessité de financer ces projets sans creuser davantage les déficits.
Conclusion
Cependant les ouvrages de Jacques Rueff reste un éclairage intemporel et pour comprendre sa pensée, plusieurs de ses livres restent des références incontournables :
-L’Ordre social (1945) : Rueff y développe sa vision d’une économie fondée sur la stabilité et la responsabilité, dénonçant les dérives inflationnistes et les déficits publics.
-Le Péché monétaire de l’Occident (1971) : Dans cet ouvrage phare, il critique le système monétaire international basé sur le dollar, qu’il accuse de créer des déséquilibres structurels.
-Les Dieux et les Rois (1949) : Une réflexion plus philosophique sur les fondements de l’ordre économique et politique.
Ces ouvrages, encore disponibles, offrent des clés pour comprendre les défis économiques contemporains et les réponses que Jacques Rueff aurait pu leur apporter.
Jacques Rueff, bien qu’ancré dans son époque, reste une source d’inspiration pour penser les défis économiques actuels. Ses principes de rigueur, de stabilité et de discipline économique sont autant de repères dans un monde où l’endettement et l’instabilité monétaire menacent la prospérité à long terme. Cependant, son héritage doit être adapté aux réalités contemporaines. La France de 2024, confrontée à des défis inédits – crise climatique, mondialisation, inflation – doit trouver un équilibre entre rigueur et ambition. Rueff nous rappelle que, sans responsabilité budgétaire et monétaire, aucune prospérité durable n’est possible. Mais il appartient aux décideurs actuels de traduire ces principes en politiques adaptées aux enjeux du XXIᵉ siècle.
Benoit Frayer