Jean-Jacques Pluchart
La succession de crises traversées par le monde occidental a mis à rude épreuve les capacités des agences de notation à anticiper les défaillances des Etats et des entreprises. Cette difficulté a été accentuée par la multiplication des facteurs à intégrer pour évaluer les risques de toutes natures – notamment environnementaux – encourus par les émetteurs de titres de crédit. Les évolutions récentes de la chaîne de notation permettent toutefois de dégager certaines tendances amorcées par les stratégies et les pratiques des grandes et des petites agences.
La plupart des experts anticipent que les Big three (Moodys corp, S&P, Fitch rating) continueront à diversifier leurs offres de services en prenant notamment le contrôle d’agences de notation extra-financière expérimentées. Ces dernières poursuivront le ciblage et le calibrage de leurs prestations de scoring, scaling, valuation, warning, coaching…., sur des plateformes de plus en plus interactives. La plupart des banques, compagnies d’assurance, groupes industriels et de services continueront à se doter de leurs propres instruments d’évaluation extra-financière: la banque UBS a ainsi construit un tableau de bord comportant 500 indicateurs Environnementaux Sociaux et de Gouvernance. Les fournisseurs de données (Reuters, Bloomberg…) affineront leurs méthodes de recueil, de traçage et de traitement. Tous ces acteurs de la chaîne de notation développeront leurs partenariats avec des laboratoires universitaires, des ONG, des think tanks et des cabinets de conseil.
Ces acteurs devront aligner leurs pratiques sur les conventions, les directives et les règlements des institutions nationales et internationales (notamment les GBP et les CBI), sur les principales normes ESG, les taxonomies (notamment européenne) et les référentiels comptables et extra- comptables validés par des « coalitions » constituées entre associations (ESRS, ISSB…), grandes entreprises et cabinets d’audit (principalement les Big Four) .
Toutefois, les modèles de la chaîne de notation ne pourront complétement anticiper, mesurer et contrôler tous les risques financiers et extra-financiers encourus par les Etats et les entreprises, et surtout les impacts sur la planète et la société civile occasionnés par les activités productives. Il est également probable que cette relative impuissance sera accentuée par le croisement des transitions énergétique, environnementale, sociale et numérique à l’horizon 2050.
La chaîne de la notation financière et extra-financière qui relie les émetteurs et les investisseurs, est ainsi appelée à se recomposer et à se consolider sous les effets des réglementations internationales et de la concurrence entre agences, avec des séparations de plus en plus affirmées entre les fonctions respectives des agences de notation globale et spécialisée, des fournisseurs d’indices boursiers (MSCI, FTSE, STOXX, euronext…), des plateformes d’analyse de données et des agences de presse. Cette chaîne devrait être de plus en plus encadrée par des institutions (Office of Credit Ratings, Securities and Exchange Commission, AEMF…), par des réglementations, des certifications et des référentiels comptables internationaux (IFRS, CSRD, EFRAG…), mais aussi orientée par des études universitaires et des alertes de la part d’ONG et de think tanks. Les échanges entre tous ces acteurs directs et indirects de la notation devraient contribuer à une meilleure corrélation entre les scorings des différentes agences. Les approches de la notation devraient être ainsi moins surchargées en indicateurs hétérogènes, mieux équilibrées entre les enjeux ESG pour les émissions d’instruments financiers standards et hybrides, et plus spécialisées et sectorisées pour les émissions de titres dédiés (titres « verts », éthiques, sociaux et durables). La traçabilité des données et la validité scientifique de leurs méthodes de traitement seront mieux analysées par les diverses parties prenantes de la chaîne, notamment avec l’aide d’applications d’IA numérique et générative. Les indicateurs quantitatifs devraient être croisés avec des appréciations qualitatives tirées d’analyses d’entretiens avec les émetteurs et d’articles de presse. La robustesse et la durabilité de l’alignement (ou de la connectivité) entre les stratégies, les pratiques et les performances des émetteurs devraient être ainsi mieux examinées.
Toutes ces conditions devront être réunies pour assurer la légitimité des acteurs de la chaîne de notation et la crédibilité de leurs services. Mais il est enfin probable que ce processus d’intégration et de consolidation de la chaîne de la notation – et donc du processus de financement de la transition écologique – seront perturbés par d’inévitables faits sociaux, comme les crises financières, sociétales, systémiques et géopolitiques qui se sont succédées depuis 2008.
(extraits du chapitre 10 « Vers une notation ESG des émetteurs de titres de crédit » , du livre coordonné par Christian de Boissieu et Dominique Chesneau, Réussir la transition énergétique et écologique, Editions Eska, 2024)